CORPUS NOSTRADAMUS 27 -- par Patrice Guinard
 

Étude matérielle des éditions Antoine du Rosne (1557)
 

L'imprimeur lyonnais Antoine du Rosne dit Lyserot (fl. 1547-1562) avait été mandaté par Nostradamus le 11 novembre 1553 pour réimprimer sa Pronostication pour l'an 1554 (cf. CN 08). Il est probablement aussi l'imprimeur de son Almanach pour la même année (cf. "La lettre de Jean Brotot à Nostradamus (septembre 1554)", CN 13), ainsi que pour les années 1553 et 1555 : les premiers almanachs seraient parus sous ses presses. Il a encore travaillé pour Nostradamus les trois années suivantes. De cette collaboration, il ne nous reste que la traduction d'un traité de Galien (édition de 1557 et réédition datée de 1558), et l'édition des Prophéties de 1557 (exemplaire d'Utrecht avec achevé d'imprimer du 6 septembre 1557). L'autre édition de 1557 mise sous son nom, avec achevé d'imprimer du 3 novembre (exemplaires de Budapest et Munich/Moscou) serait une contrefaçon parisienne un peu plus tardive, assez fidèle, mais à l'appareil ornemental réduit au strict minimum (une vignette, un fleuron et une lettrine). Malgré son origine douteuse, je l'inclus dans cette étude. Une reproduction du frontispice de l'exemplaire disparu de Munich a été publiée par Klinckowstroem (1913, p.362 et 1963, c.1610), et Edgar Leoni, en 1961, donne une image de la page de titre de l'exemplaire de Moscou, strictement identique à la précédente (cf. CN 25) !
 

 

Je m'intéresserai à l'appareil iconographique de ces éditions, hormis les vignettes et illustrations spécifiques (au nombre de 5 dans la traduction de Galien) que j'étudierai dans un texte ultérieur. Il n'existe pas de catalogue des bandeaux, fleurons ou lettres ornées des imprimeurs du XVIe siècle. Stephen Rawles, dans un article de 1988, signale qu'il a effectué, à partir des collections de l'université de Glasgow, un premier recensement et une classification des lettrines des imprimeurs parisiens selon leur taille, leur couleur, la couleur et la texture du fond, leurs illustrations, etc. J'ignore si ces travaux ont connu quelque aboutissement.

L'exemplaire d'Utrecht comprend 62 feuillets ou 124 pages, dont 121 sont imprimées. Les différentes sections de l'ouvrage s'ordonnent comme suit:

      - feuillet A1r frontispice = p.1
      - feuillet A1v blanc
      - feuillets A2r-A6v préface sur 10 pages = pp.3-12 (page 3 numérotée 2)
      - feuillets A7r-B7r centurie 1 sur 17 pages = pp.13-29
      - feuillets B7v-C7v centurie 2 sur 17 pages = pp.30-46
      - feuillets C8r-D8r centurie 3 sur 17 pages = pp.47-63 (page 62 numérotée 63)
      - feuillets D8v-E8v centurie 4 sur 17 pages = pp.64-80
      - feuillets F1r-G1r centurie 5 sur 17 pages = pp.81-97
      - feuillets G1v-H1v centurie 6 sur 17 pages = pp.98-114
      - feuillets H2r-H5v centurie 7 sur 8 pages = pp.115-122
      - feuillets H6rv blancs (non paginés)

L'exemplaire de Budapest comprend 80 feuillets ou 160 pages, dont 159 sont imprimées :

      - feuillet A1r frontispice = p.1
      - feuillet A1v blanc
      - feuillets A2r-B1v préface sur 16 pages = pp.3-18
      - feuillets B2r-C5r centurie 1 sur 23 pages = pp.19-41 (page 26 numérotée 16)
      - feuillets C5v-D8r centurie 2 sur 22 pages = pp.42-63
      - feuillets D8v-F3r centurie 3 sur 22 pages = pp.64-85
      - feuillets F3v-G6r centurie 4 sur 22 pages = pp.86-107
      - feuillets G6v-I1r centurie 5 sur 22 pages = pp.108-129
      - feuillets I1v-K4r centurie 6 sur 22 pages = pp.130-151
      - feuillets K4v-K8v centurie 7 sur 9 pages = pp.152-160

Les éditions datées de 1557 contiennent au total 2 bandeaux, 3 fleurons, 4 lettrines zébrées (appartenant à la même série) et 5 lettrines indépendantes.

bandeau 1
Utrecht : préface, p.[3]
Utrecht : début centurie 6, p.98

bandeau 2
Utrecht : début centurie 1, p.13
Utrecht : début centurie 2, p.30
Utrecht : début centurie 3, p.47
Utrecht : début centurie 4, p.64
Utrecht : début centurie 5, p.81
Utrecht : début centurie 7, p.115

fleuron 1
Utrecht : frontispice, p.1
Galien : frontispice, p.1

fleuron 2
Budapest : fin centurie 1, p.41
Utrecht : fin centurie 1, p.29
Utrecht : fin centurie 3, p.63
Utrecht : fin centurie 5, p.97

fleuron 3
Utrecht : fin centurie 2, p.46
Utrecht : fin centurie 4, p.80

lettrine A zébrée
Utrecht : début centurie 3, p.47
Utrecht : début centurie 6, p.98
Galien, début du texte, f.A6r (p.11)

lettrine E zébrée
Utrecht : début centurie 1, p.13

lettrine T zébrée
Budapest : préface, p.3

lettrine V zébrée
Utrecht : début centurie 2, p.30

lettrine A
Utrecht : début centurie 5, p.81

lettrine C
Utrecht : début centurie 4, p.64

lettrine D
Galien, préface, f.A2r (p.3)

lettrine L
Utrecht : début centurie 7, p.115

lettrine T
Utrecht : préface, p.[3]
 
 

Matériel typographique des trois éditions "Antoine du Rosne" de "1557"

   

Un intéressant détail confirme la parution contemporaine si ce n'est quasi simultanée de l'édition des Prophéties sortie des presses le 6 septembre 1557 (exemplaire d'Utrecht) et du traité adapté de Galien : outre les vignettes identiques à la page de titre, la lettre ornée A apparaît trois fois dans le même état avec un cadre brisé sur la droite au même endroit.

Gérard Morisse a montré dans son introduction à la réédition en fac-similé de l'exemplaire de Budapest (à tort car il s'agit d'une contrefaçon) que ces marques typographiques provenaient de l'atelier de l'imprimeur-libraire lyonnais Pierre de Saincte Lucie dit Le Prince (2004, pp.29-30), successeur de Claude Nourry dont il avait épousé la veuve Claudine Carcan en 1534 et repris le surnom de Prince. Saincte Lucie (ca.1490-1558), "successeur de Claude Nourry dans son lit, sa maison et son imprimerie" (Screech, 1992, p.154), avait commencé sa carrière comme chef d'atelier vers 1525 avant son mariage, et a cessé définitivement d'imprimer en 1556. Une saisie partielle de son fonds de librairie et de son matériel d'imprimerie lui avait été infligée le 16 mars 1551 selon Baudrier (vol. 12, 1921, p.154) qui le présente en ces termes (p.152) : "Ivrogne, débauché, déplorable administrateur, il fut un des plus mauvais imprimeurs de Lyon et, en la seconde partie de sa carrière, ses publications sont pleines de fautes, même dans les dates des titres.").

L'une de ses premières impressions est une traduction d'un roman de chevalerie espagnol : La triumphante et veritable histoire des haultz et chevaleureux faictz d'armes du trespuissant et tresmagnanime, & plus que victorieux prince Meliadus (dict le chevalier de la Croix) filz unicque de Maximian Empereur des Allemaignes (1534, copie Gallica). Dans les années 40, il se spécialise dans les motifs décoratifs, dits patrons de lingerie. Parmi les autres ouvrages édités par Saincte-Lucie, notons : Les diuers rapportz d'Eustorg de Beaulieu en 1537, Les quatre filz Aymon en 1539 (un fameux roman populaire qui sera récupéré dans la bibliothèque bleue), La grand danse macabre des hommes & des femmes en 1555, et La vie de Ihesucrist en 1555-56. Les relations entre Sainte-Lucie et Antoine du Rosne sont attestées, et ce dernier a probablement récupéré au moins une partie de ses presses. Antoine du Rosne s'était déjà adressé à lui en de nombreuses occasions entre 1534 et 1546, et plusieurs actes attestent de sommes d'argent qui lui sont versées par Claudine Carcan (Morisse, 2004, pp.28-29).

Quelques unes des marques typographiques présentes dans les ouvrages de Nostradamus apparaissent dans des ouvrages imprimés par Pierre de Sainte Lucie, et dans des ouvrages édités par Antoine du Rosne ou imprimés par son frère Ambroise pour d'autres libraires, et notamment pour Benoist Rigaud.


 

L'intérêt de cette liste réside dans la filiation éditoriale Saincte Lucie → Antoine du Rosne (cessant son activité en 1562) → Ambroise du Rosne → Benoist Rigaud. C'est une des raisons pour laquelle j'ai privilégié Antoine du Rosne plutôt que Rigaud pour l'édition lyonnaise perdue de 1558 (cf. "Les premières éditions des Prophéties 1555-1563", CN 25, juin 2006). En effet c'est Ambroise, le frère d'Antoine, qui prend sa succession en 1562, et non son fils Étienne, résidant à Genève en octobre 1572 et de retour à Lyon avant 1577 (Hans Joachim Bremme, Buchdrucker und Buchhändler zur Zeit der Glaubenskämpfe, Genève, Droz, 1969, p.154, et Baudrier 1, p.388-9). C'est Ambroise du Rosne, imprimeur de 1562 à 1567 notamment pour Benoist Rigaud qui sous-traitait, qui aurait hérité des droits de diffusion des deux livres des Prophéties après le décès de son frère, et négocié leur rachat avec Benoist Rigaud courant 1567, année de sa retraite ! et de sa fortune ?
 

Parmi les autres textes publiés par Antoine du Rosne, outre un recueil poétique de Guillaume de La Tayssonnière (1561) signalé par Du Verdier (p.510) figurent surtout des actes royaux et autres textes officiels dont :
- Ordonnance faicte par le Roy sur le cours et pris des espèces d'or et d'argent et descry des monnoyes rongnées (1550)
- Mandement du Roy, sur la Declaration du departement des compaignies (1560)
- Lettres missives du Roy, pour faire assembler certain nombre de sa Gendarmerie (1560)
- Edit du roy, & exemption des privileges des cantons des Suisses (1561)
- Lettres patentes du Roy, par lesquelles est commandé à tous Officiers dudict Seigneur, prendre confirmation de leurs offices (1561)
- Mandement du roy à tous les prelatz de son Royaume, qu'ilz ayent à se preparer (1561)
- Edict du Roy sur les moyens les plus propres d'appaiser les troubles & seditions pour le fait de la Religion (1562)

Les fleurons 1 et 3 se retrouvent respectivement au titre et au verso du feuillet A1v de l'ouvrage de Tolet. [Le fleuron 3 figure aussi aux feuillets A3r, R1r, et Aa8v du Thresor des livres d'Amadis de Gaule. Assavoir les Harengues, Concions, Epistres, Complaintes, & autres choses les plus excellentes. De nouveau augmenté & orné du recueil du 13. livre, & d'une infinité de propos & devis bien gentils, tirez dudit livre (Lyon, Veufve de feu G. Cotier, 1572)]. Les lettrines zébrées sont présentes dans les ouvrages de Sainte-Marthe, de Bugnyon, de Sconners (lettrine E) et de Tolet. Parmi les autres lettres ornées, on retrouve la lettrine A dans les ouvrages de 1557 et 1566, la lettrine D (série aviaire) dans la Continuation de 1565 et la lettrine O peut-être de la même série dans l'ouvrage de Sainte-Marthe, un S appartenant à la même série que le T de l'exemplaire d'Utrecht dans l'ouvrage de Sainte-Marthe, enfin la lettrine L dans la Remonstrance de 1561, dans la Responce de 1563, et dans la Lettre du Roy de 1565, qu'on peut rapprocher d'autres lettrines de la même série, apparaissant dans l'ouvrage de 1540, et encore une lettrine L similaire dans un ouvrage de Symeoni, De la Generation, Nature, Lieu, Figures, Cours & Significations des Cometes (Lyon, Jean Brotot, 1556, f.D1v). Je n'ai pas encore retrouvé les bandeaux ailleurs.
 


 

G. Morisse croit que les exemplaires d'Utrecht et de Budapest proviennent du même atelier d'impression, et remarque que les textes du quatrain III 30 dans les deux éditions Du Rosne de 1557 "sont exactement superposables" (p.33). Si les caractères d'imprimerie sont identiques, on remarquera cependant de légères différences, d'alignement au vers 2 entre "grand" et "que", d'espacement au vers suivant entre "six" et "luy", pouvant pourtant s'expliquer par un retirage d'une même page. Mais on trouve dans cette édition datée de "novembre" (sans année) et mise au nom d'Antoine du Rosne un trop grand nombre d'anomalies qui permettent de la distinguer des authentiques éditions lyonnaises de 1555 et 1557 (Bonhomme 1555 et Du Rosne Sept. 1557) : une vignette inversée très rudimentaire présentant une sphère tronquée d'un morceau sur la droite, un appareil iconographique minimal réduit à une lettrine et un fleuron, quelques expressions manquantes aux paragraphes 9, 24, 27, 28, 40 et 41 dans l'épître à César (cf. CN 31), quelques mots manquants aux quatrains, et de nombreuses anomalies typographiques comme la pagination notée "29" en B4r, l'espacement à "CENTVR IE" (p.93), l'erreur de numérotation à "CENTVRIE" (p.131), le grand N majuscule à "CENTVRIE" (p.132), etc.


En réalité, et on peut en avoir la certitude depuis mon étude de juin 2009 (CN 106), cette édition est une réplique un peu plus tardive, conforme à l'authentique version Antoine de Rosne perdue et effectivement parue à la date du 3 novembre 1557. L'appareil iconographique minimal des exemplaires de Budapest et Moscou ne comprend qu'une vignette inversée sans lune ni étoiles dans la fenêtre, une lettrine zébrée que je n'ai pas retrouvée dans les autres textes connus imprimés par Antoine du Rosne, et un fleuron classique mais peu encré. Ce constat est renforcé par un document de Sincerus paru en 1732, parfois signalé mais pas consulté ou compris (cf. CN 106).
 
 
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Patrice Guinard: Étude matérielle des éditions Antoine du Rosne (1557)
http://cura.free.fr/dico2pro/607Aico57.html
24-07-2006, last updated : 30-09-2020
© 2006-2020 Patrice Guinard