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Astrologie et Ethnométhodologie 1/3
par Hubert Brun



N. Éd. : Ce texte, diffusé en 3 volets, est celui du mémoire de D.E.S.S., soutenu par Hubert Brun en 1993, à l'Université Paris 8 (discipline Ethnométhodologie et Informatique ; direction Yves Lecerf et Jean-François Dégremont), sous le titre initial "Ethnométhodologie et Arts Divinatoires".



SOMMAIRE

1ère partie : Présentation de l'ethnométhodologie

1. Naissance de l'ethnométhodologie
2. La posture ethnométhodologique
3. Les concepts fondamentaux
4. Le point Zéro ou le Rien
5. Positionnement de l'ethnométhodologie face à la science
6. Éthique de l'ethnométhodologie

Bibliographie

2ème partie : Incursion de l'ethnométhodologie dans le monde étrange des astrologues

Introduction

1. Ethnométhodologie et arts divinatoires
2. Lexique astrologique
3. Présentation des tribus de l'astrologie
4. Les ambitions d'un astrologue, dénommé Félix, pour une inversion des rôles, conférant à l'astrologie le rôle de lunette cognitive pour regarder le monde et la science : Son regard d'astrologue sur l'analyse institutionnelle

Conclusion
Bibliographie
 

1ère partie : Présentation de l'ethnométhodologie


1. Naissance de l'ethnométhodologie

    Le mot ethnométhodologie fut inventé par H. Garfinkel en 1954 et désigne une branche de la sociologie. H. Garfinkel, professeur à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) est né en 1917. Il soutient sa thèse de doctorat en 1952 et on commence à entrevoir l'originalité de sa démarche intellectuelle dès 1959 où il participe au IVème Congrès Mondial de Sociologie, à Stresa. En 1967, paraît son livre : Studies in ethnomethodology qui est considéré comme étant l'ouvrage fondateur de l'ethnométhodologie.

    L'ethnométhodologie puise ses sources dans les enseignements de E. Goffmann, T. Parsons, chef de file de la sociologie américaine, et de A. Schutz (lui-même s'inscrivant dans le courant de la phénoménologie sociale : M. Weber, E. Husserl). Husserl est le fondateur de la phénoménologie contemporaine, qui est une philosophie relativiste revenant au sujet. C'est la notion de moi transcendantal où tout part de moi, je suis Dieu, même si Dieu existe.

    H. Garfinkel se réfère aux concepts de A. Schutz (1987) qui en revient toujours à la question du sujet et va expliquer comment se construit le concept de sens : "Depuis le commencement, nous, les acteurs sur la scène sociale, vivons le monde comme un monde à la fois de culture et de nature, non comme un monde privé mais intersubjectif, c'est-à-dire qui nous est commun qui nous est donné ou qui est potentiellement accessible à chacun d'entre nous."

    Ce qui est commun à la phénoménologie et à l'ethnométhodologie, c'est : Qui produit le sens ? Qu'est ce qui produit le sens ? Mais que devient le sujet dans ces investigations économiques ?

    L'ethnométhodologie s'inspire également des théories de l'interactionnisme symbolique issues de l'Ecole de Chicago, (R. Park, E. Burguess, W. Thomas) et du logicien Bar Hillel. Parmi les premiers adeptes de l'ethnométhodologie on doit citer A. Cicourel qui anime avec H. Garfinkel en 1965 un séminaire où l'on rencontre H. Sacks, E.A. Schegloff, L. Wieder, Zimmerman ainsi que plusieurs ethnologues dont Benetta Jules-Rosette et Carlos Castaneda.

    L'ethnométhodologie se propage à l'étranger après avoir gagné la côte Est des Etats-Unis. Elle atteint l'Angleterre, l'Allemagne, puis l'Italie et la Suisse. En France l'ethnométhodologie est apparue sous la plume de N. Herpin (1973) et E. Veron (1973). Dix ans plus tard, de nombreux écrits lui seront consacrés par Y. Lecerf, G. Lapassade, A. Coulon, L. Quéré, B. Conein, P. Loubière, etc.
 

2. La posture ethnométhodologique

    En ethnologie, une ethnie est un groupe homogène sur le plan linguistique, politique, territorial, alors que pour l'ethnométhodologie, toute micro-culture, ainsi que toute micro-société humaine est une ethnie, et à l'extrême limite, un individu peut être considéré comme une ethnie. H.Garfinkel (1967), en exposant le cas Agnès et R. Jaulin (1980) à propos de son fils Thibault, ont illustré cela en faisant émerger l'idée "d'ethnie d'une seule personne." Ces individus se créent des règles de vie, des lois, des rites, une logique et une appréhension du monde qui leur est propre, à partir d'une trame culturelle qu'ils se sont eux-mêmes forgée. Ils ont la capacité de s'intégrer à un groupe culturel par connaissance acquise de ses codes de fonctionnement, tout en gardant un système référentiel, un sens commun inaccessible aux autres.

    L'ethnométhodologie reconnait le droit d'existence aux déviants d'un groupe, ainsi qu'à toute minorité dérangeante, "hors cadre" de la normalité. Pour H. Garfinkel (1974), "Ethno suggérait d'une manière ou d'une autre qu'un membre dispose du savoir de sens commun de sa société en tant que savoir du "quoi que ce soit".

    On entend par ethnosciences (ethnomédecine, ethnopsychiatrie, etc.), la connaissance et la compréhension des sciences incluant le contexte ethnique. L'ethnométhodologie a pour objet l'étude des ethnométhodes, c'est-à-dire, l'étude des méthodes ou des techniques utilisées par toute ethnie ou toute micro-société quelle qu'elle soit. Dans cette perspective, on peut considérer que l'ethnométhodologie est affiliée à l'anthropologie par son respect pour toute ethnie et par son refus de l'ethnocide.

    L'ethnométhodologie est une branche de la sociologie, bien qu'elle remette en question les méthodes et les présupposés de cette dernière. Le champ ethnométhodologique est interdisciplinaire. L'ethnométhodologie est à la fois complémentaire et parfois concurrente de toutes les disciplines. Elle est un chemin de circulation d'une discipline à une autre. Dans le domaine de l'informatique, l'ethnométhodologie pose la question des limites de l'intelligence artificielle. L'homme est-il un robot ? En sciences de l'éducation, elle demande si l'éducation est oppressive.

    Y. Lecerf présente l'ethnométhodologie par un ensemble de préaxiomes :
- Il existe des gens, le monde, des disciplines, des ethnométhodes.
- La démarche de science est une démarche libre, responsable.
- Les sciences sont des savoirs incomplets. La science est une prétention au savoir.
- L'ethnométhodologie est un ethno-savoir, et n'a de valeur que par ce que l'on va en faire.
- Il y a des compréhensions, des représentations diverses de l'ethnométhodologie.
- Chacun est totalement responsable de lui-même.
 

3. Les concepts fondamentaux

    Les universités de Paris 7 et Paris 8 définissent l'ethnométhodologie à partir d'un certain nombre de concepts. Je vais présenter ceux que je compte utiliser dans ce texte.

    - Terrain : La notion de terrain est plus vaste et plus vague que l'ethnie, c'est l'extension de l'ethnie.
Par exemple, un biologiste au CNRS fait partie d'une ethnie, mais le terrain est constitué à la fois de son lieu de travail et des déplacements éventuels du biologiste, effectués dans le cadre de son travail. C'est le contexte à l'intérieur duquel on étudie une population.

    - Village, Tribu : L'ethnométhodologie s'intéresse à des micro-sociétés composées de groupes restreints de personnes portant le nom de villages. Ces groupes se rapprochent à bien des égards des structures archaïques des tribus ou des clans villageois. Ils sont constitués par la parenté des fonctions, des intérêts, des préoccupations. De sorte que les ethnométhodologues parlent volontiers du village de commerçants ou de jeunes banlieusards tout en ayant soin de limiter leur champ d'investigations dans l'espace et le temps. Dans ce sens l'ethnométhodologie est une micro-sociologie contrairement à la macro-sociologie qui s'occupe de vastes ensembles de populations regroupés dans des villes, des nations ou des continents.

    - Breaching : H. Garfinkel va essayer de systématiser le recours à l'expérience pour comprendre ce qui se passe dans la vie quotidienne. Il va chercher à expliquer, par exemple, comment les gens se comprennent de façon implicite. Il va orienter ses recherches sur les choses "vues et non remarquées", c'est-à-dire des choses nécessaires à la compréhension mais implicites (non apprises et évidentes). Il propose un ensemble d'expériences à ses étudiants qui créent une rupture avec les choses vues et non remarquées, une rupture avec les évidences. Cette transgression volontaire des règles s'appelle le "breaching".

    Par exemple, des étudiants de sexe masculin tricotent dans l'autobus, alors que la loi tacite veut que, seules les femmes puissent le faire. Pour G. Lapassade (1992) "Ces dispositifs de visibilité sont des analyseurs construits." Le travail de l'ethnométhodologue consiste à analyser les réactions des gens, afin de révéler les règles implicites qui existent entre eux.

    - Membre (être) : Le travail des premiers ethnologues se faisait essentiellement à partir des récits des explorateurs et plus rarement à la suite d'un voyage dans les grandes villes où ils ne séjournaient que quelques jours, le temps de recueillir des informations fournies par des informateurs plus ou moins objectifs. Les ethnologues contemporains considèrent qu'il est indispensable de séjourner sur le terrain le plus longtemps possible en s'intégrant aux populations et en pratiquant ce que B. Malinowski (1922) appelle "l'observation participante", idée reprise plus tard par R. Jaulin (1971).

    En ethnométhodologie les membres sont les individus du village. On devient membre d'un groupe lorsqu'on "parle" les évidences de celui-ci. Pour l'ethnométhodologie, il est nécessaire de devenir membre du groupe que l'on veut étudier. Devenir membre, c'est s'affilier à un groupe qui requiert la maîtrise progressive du langage institutionnel commun. Les membres connaissent les implicites de leur conduite, les "allants-de-soi".

    L'ethnométhodologie ne donne pas de méthode pour dire si l'on est membre ou non, car on n'est jamais totalement membre d'un groupe, étant donné que chaque individu à son mode de perception qui lui est propre. Être membre suppose d'avoir intégré les systèmes conceptuels d'analyse du groupe étudié. Un groupe d'élèves peut décider de se liguer contre tel enseignant et chacun mettra un point d'honneur à ne pas céder à la délation. Comme ils sont membres de ce groupe, ils ont intégré une manière d'appréhender le monde, et de l'exprimer à travers un comportement.

    - Indexicalité : C'est un concept fondateur de l'ethnométhodologie dont la paternité revient probablement au logicien Bar-Hillel (1954). On considère généralement que le sens des mots et des phrases est la liaison entre le signifiant et le signifié. Mais nous savons depuis les travaux de Saussure (1916) que cette liaison est arbitraire et le résultat d'une convention. La notion d'indexicalité permet la construction du sens : sens que j'élabore, sens de l'autre, sens de l'institution.

    L'indexicalité est un terme linguistique : un mot a une signification distincte dans toute situation dans laquelle il est utilisé. Les linguistes nomment déictiques des mots comme : ici, maintenant, ceci, voilà, je, tu, nous, etc. Ceux-ci renvoient à un sens différent selon le lieu, le temps, le locuteur. Ces expressions indexicales ne prennent leur sens complet qu'en fonction du contexte où ils sont émis, que s'ils sont "indexés" à un supplément linguistique.

    Toutes les phrases sont des relations indexicales, ce qui veut dire que tout le langage est indexical. Le sens des mots varie tout le temps. Les mots n'ont un sens que parce que nous leur en donnons un. A l'intérieur d'un village, l'indexicalité est le dénominateur commun. Pour les membres du groupe, à un moment donné, le mot aura le même sens pour tous, un sens commun.

    D'après G. Lapassade (1991) : "Le sens commun n'est pas une version atrophiée de la connaissance scientifique, mais un autre mode de connaissance, avec sa cohérence interne et sa pertinence." Par exemple, un examen doit permettre de vérifier si l'étudiant a bien compris le contenu des cours ; pour cela il doit reformuler le discours avec ses mots à lui pour faire la preuve de sa compréhension. Pourtant, une enquête a démontré que, si les examinateurs ne se concertent pas entre eux pour réduire les écarts de points, on obtient des écarts qui peuvent aller jusqu'à quatorze points en mathématique.

    L'indexicalité est le fait que les mots changent de sens en fonction du contexte. Or dans ces conditions, comment le sens peut-il émerger ? Pour Chomsky, c'est le langage qui permet de comprendre les gens que l'on côtoie ; pour l'ethnométhodologie, le sens doit se négocier en permanence, car le langage naturel n'est pas formalisable. D'après P. Watzlawick (1978) : "le langage ne se contente pas de transmettre des informations mais exprime en même temps une vision du monde", d'où la nécessité d'un lexique.

    La grammaire est formalisable, car il est possible de définir l'ensemble des règles qui la compose, mais le sens que peut avoir un texte n'est pas formalisable. Une machine ne peut pas faire de traduction automatique d'une langue à l'autre. Une négociation du sens sera toujours nécessaire. Chomsky voulait trouver le langage universel. Pour cela, il a essayé de classer le langage, en utilisant des moyens considérables de 1950 à 1990 : quinze laboratoires, des milliers de chercheurs, un budget qui a dépassé celui de la NASA. Tout ceci s'est soldé par un échec.

    Dès 1954, dans la revue Mind, Bar Hillel, universitaire de Jérusalem, a écrit à propos de Chomsky, qu'il n'obtiendrait pas de résultats significatifs, car il y a une indexicalité, des sens qui changent en fonction du contexte et de plus, le sens change en fonction de celui qui lit le texte. Chomsky, n'en tient pas compte car il pense qu'il doit exister une compétence du langage, donc il doit y avoir un substrat universel, ce grâce à quoi nous pouvons écrire des grammaires différentes. Il pense que le jour où il aura trouvé les constituants du langage, il sera possible de passer d'une langue à une autre.

    Les machines à traduire existent, mais ne peuvent pas éviter les contresens, par exemple, si un touriste demande : "I want a popular place" (une place à la mode). La machine traduira : "Je veux une place populaire." L'interlocuteur humain va devoir effectuer les corrections nécessaires, car il y aura toujours un élément de sens à revoir.

    L'être humain ne peut être formalisé, même si son comportement est parfois prévisible. Par exemple, le sociologue peut prédire la destination des vacanciers pour telle période, mais tout comme en physique quantique, sa prédiction ne peut qu'être probabiliste et approximative. Les sociologues, note Garfinkel (1970), sont continuellement en train de "trouver des remèdes aux propriétés indexicales du discours pratique" en tentant de les extirper et de les remplacer par des expressions objectives.

    On peut relever deux raisons essentielles pour lesquelles l'être humain ne peut pas être réductible à une machine :
1- Le sens commun, le langage naturel ne sont pas formalisables.
2- La machine est confrontée obligatoirement à des propositions indécidables.

    Les ethnométhodologues considèrent que tous les énoncés, toutes les actions comportent une marge d'incomplétude et sont indexicaux. L'indexicalité ainsi élargie aux sciences sociales est sans limites. Il existe une infinitude des indexicalités dans chaque mot, chaque proposition, chaque acte. Pour Y. Lecerf (1987), la notion d'indexicalité atteint "de plein fouet Durkheim, ses principes, son oeuvre et, à travers ceux-ci, les traditions de raisonnement les plus constants de la sociologie."

    - Réflexivité : Une relation est réflexive en mathématique quand elle renvoie un élément à lui-même. L'égalité algébrique est réflexive dans l'exemple a = a. La réflexivité renvoie à une sorte de relation en miroir avec l'objet observé. Pour divers ethnométhodologues la notion de réflexivité est devenue purement et simplement le lien mettant en rapport une expression et son contexte.

    Si un ethnologue veut étudier une tribu lointaine, il va utiliser malgré lui des systèmes conceptuels qui viennent de sa propre culture. L'ethnométhodologie a ouvert la voie à une ethnographie réflexive, proposée par le chercheur S. Woolgar : "l'ethnographie réflexive se propose de rendre compte simultanément de l'objet de la recherche et de la démarche employée pendant la recherche, à partir de l'hypothèse que l'un et l'autre sont non seulement liés, mais que la connaissance de l'un permet également de mieux appréhender l'autre". (Cité par A. Coulon, 1990).

    On va rendre compte en même temps de l'objet et de la démarche employée. La réflexivité est une équivalence entre décrire et produire une interaction. Quand on décrit un groupe on doit se décrire à l'intérieur du groupe, décrire l'observateur dans le déroulement de l'expérience. La réflexivité rend compte des pratiques qui, à la fois, décrivent et constituent le cadre social. Décrire une action, c'est la constituer. Elle désigne l'équivalence entre la compréhension et l'expression de cette compréhension.

    D'après G. Psathas (1980), l'ethnométhodologie est "une pratique sociale réflexive qui cherche à expliquer les méthodes de toutes les pratiques sociales, y compris les siennes propres". La position ethnographique, est une position de pure extériorité, où on décrit ce que l'on voit : le sujet empirique.

    La position ethnométhodologique a accès au sujet analytique, au monde de l'autre, et montre comment il construit ses actions, comment il raisonne, et quelles sont les modifications apportées par l'interaction entre l'observateur et l'observé. Ceci rejoint les expériences en physique quantique qui montrent que celui qui observe est aussi dans l'observation : "une mesure quantique est le résultat d'une interaction entre un quanton et un appareil de mesure" (S. Ortoli, JP. Pharabod, 1984).

    - Contexte : Le sens des mots dépend toujours du contexte. On peut essayer de rendre compte du contexte, mais on ne pourra jamais mentionner tout le contexte. Si on veut étudier la circulation des navires, il nous faudra connaître tout le contexte, on sera amené à comprendre la technologie, la métallurgie, l'histoire du XVIème siècle, etc.

    Le sociologue ne se soucie pas du contexte, qui est trop versatile et fluctuant, dans un souci d'objectivation, il peut se comporter vis à vis de la réalité comme le biologiste qui dissèque un animal. Mais changer le contexte équivaut à changer de sens. Par exemple, si on veut comprendre le sens des luttes ethniques en Yougoslavie, on aura une perception très différente de la réalité si on fait commencer l'histoire en 1993 ou à partir de la deuxième guerre mondiale.

    La première fois qu'on aborde un texte quelque peu ardu, on se trouve sans doute embarrassé. Mais si l'on veut bien interrompre la lecture et se reporter à une documentation complémentaire, dès lors, grâce à ce nouveau contexte, tout s'éclaire. Un étranger apprenant le français sera peut-être arrêté par une simple expression, par exemple : "l'heure c'est l'heure". Pour comprendre, il devra passer par un détour grammatical où le pronom démonstratif prendra à ses yeux une valeur très forte.

    Pour l'ethnométhodologie, chaque fois qu'on emploie deux fois le même mot, le premier mot n'a pas le même sens que le deuxième. Toute répétition est en fait une création, elle joue un rôle de première importance dans l'activité créatrice de l'être humain. Pour N. Geblesco (1982), les textes sacrés "voient dans la répétition des formules, des gestes, des rythmes et autres structures symboliques : tout d'abord l'instrument d'un tissage de la durée puis le lieu et l'outil de passage d'un plan du créé à l'autre, enfin la voie d'accès à l'illimité".

    - Mise en Scène de l'action sociale : L'ethnométhodologue est une sorte de metteur en scène par le choix qu'il fait de décrire telle scène ou telle autre de l'action sociale. Ses choix dépendent de la manière dont il se représente l'univers.

    - Induction : Ce concept a été introduit par Y. Lecerf (1986). L'induction est une forme de raisonnement qui permet de formuler des lois générales à partir d'un petit nombre de cas observés. Ceci conduit à des aberrations car il faudrait avoir recensé tous les cas existants pour formuler une loi, ce qui est pratiquement impossible, c'est pourtant cette forme de raisonnement que l'on trouve à la base de la plupart des travaux scientifiques.

    L'ethnométhodologie conteste formellement cette démarche intellectuelle qu'elle considère comme une sorte d'escroquerie intellectuelle. Elle se donne pour tâche de révéler ou mentionner les inductions, en évitant toute généralisation abusive. Si nous disons que tous les clochards sont alcooliques, nous faisons une induction dissimulée. Par contre, dire que tous les clochards que j'ai observés, étaient alcooliques, correspond à une induction révélée. Les inductions doivent être évitées par l'ethnométhodologue, ou bien il doit les considérer comme des simplifications permettant de prendre des décisions, sans pour autant leur donner une apparence de vérité.

    - Ad hocing : L'ethnométhodologie essaie de substituer un hyper rationalisme au rationalisme classique qui est impuissant à rendre compte de tous les phénomènes. Dans la vie courante, on est obligé de prendre des décisions hâtives à partir de données insuffisantes et on invente. Après, on justifie sa réponse par un raisonnement ad hoc, (on fait de l'ad hocing) : on trouve une astuce qui sort du champ de la logique. En ethnométhodologie, la question est de repérer, là où il y a ad hocing, quelles sont les failles du raisonnement, pour ensuite proposer des principes de gestion souple, pour les problèmes que pose l'émergence de l'irrationnel social.

    - Accountability (Racontabilité) : Ce mot est utilisé par H. Garfinkel pour désigner ce que chaque individu peut rendre compte en fonction de sa compréhension, sa représentation du monde. La difficulté réside dans le fait qu'il n'existe pas de grille objective de ce que l'on décrit. En Français, account pourrait se traduire par racontabilité (récupérer ce qui est racontable). L'accountability traduit la réalité sous forme de discours.

    L'ethnométhodologue cherche à théoriser l'account (en quoi les accounts sont informants et structurants). Le monde social est accountable, c'est-à-dire descriptible, intelligible, rapportable, analysable. Cette racontabilité est partagée par les membres du groupe, elle n'est pas figée, son évolution est constante, elle est en partie implicite (composée d'allants-de-soi).

    - Allants-de-soi : Ce sont toutes les choses que l'on n'a jamais besoin de dire mais qui sont indispensables à la compréhension de tout ce qui se passe. Les allants-de-soi sont la création de règles spontanées mais qui ne sont pas reconnues comme telles.

    H. Garfinkel (1967) donne l'exemple des jurés, qui sont tirés au sort. D'après H. Garfinkel, les gens fabriquent des lois, de façon spontanée, qui permettent aux jurés de prendre une décision. Ces règles sont explicites ou implicites. Ces dernières sont les plus importantes pour comprendre le fonctionnement de la justice. Les règles implicites se définissent par les pressions sociales et les contraintes. La réflexion ethnométhodologique, dans ce cas, va analyser comment tel groupe condamne ou comment tel autre absout.

    - Post-analyse : Les études ethnométhodologiques, dans les différentes disciplines sont des études post analytiques (qui viennent après l'analyse). Ceci laisse entendre que les autres disciplines sont analytiques, c'est-à-dire qu'elles définissent des problèmes, des objets, des méthodes qu'elles se donnent pour tâche d'analyser.

    La post-analyse reprend l'analyse, en répétition pour montrer que l'analyse se fait autrement, puisque toute répétition est une création, ce qui est un processus sans fin. Le principe de l'ethnométhodologie est de réintroduire le doute systématique dans toute pratique afin de prévenir tout excès.

    - Indifférence : Pour Garfinkel et Sacks (1970) : "Les études ethnométhodologiques sont destinées à l'étude de phénomènes...en s'abstenant de tout jugement sur leur pertinence, leur valeur, leur importance, leur nécessité, la possibilité de les pratiquer, leur succès ou leurs conséquences. Nous appelons cette procédure indifférence ethnométhodologique."

    Cette indifférence peut s'apparenter à l'état de détachement que l'on retrouve dans le Zen, ou bien encore de cette "feinte indifférence" ou cette "sainte indifférence" dont font état certains écrits du christianisme, que mentionne le père Besnard (E. de Smedt 1990).

    La démarche ethnométhodologique est une position intermédiaire entre une implication en tant que membre pratiquant l'observation participante et une position de retrait, d'indifférence qui permet d'analyser une situation avec impartialité. C'est assurément une position difficile qui ne peut garantir une objectivité absolue de la part de l'expérimentateur, c'est pourquoi il doit avoir l'honnêteté de se décrire lui-même et dévoiler ses affinités ou antipathies pour le groupe étudié. En conséquence, en se "regardant observer" il retrouve l'objectivité que son implication lui avait fait perdre. Le principe d'indifférence renvoie au refus du raisonnement par induction, qui renvoie à la post-analyse...

    - Tracking (Filature) : En ethnométhodologie l'enquête ressemble à une filature policière où on doit suivre les membres du groupe étudié à la trace en recherchant la proximité étroite, tout en inspirant confiance, en provoquant les confidences, en ayant soin de recueillir le plus d'informations possible. Une fois la confiance établie, les langues se délient car les gens aiment généralement parler de leurs activités. La plus grande difficulté est d'arriver à comprendre véritablement ce qui est dit car le sens varie constamment en fonction du contexte. S'agit-il d'une description, une affirmation, un jugement, une histoire, une plaisanterie ? L'analyste devra s'intéresser tout particulièrement au côté sous-jacent des conversations, aux allants-de-soi.

    - Responsabilité : La sociologie a imposé l'idée que le sens des actions des individus ne peut être accessible qu'au sociologue professionnel. Les acteurs sociaux seraient incapables d'analyser et comprendre les motifs secrets de leurs conduites. Ils ne savent pas par exemple qu'ils partent en vacances au bord de la mer au mois de juillet parce qu'ils appartiennent aux classes moyennes.

    Pour H. Garfinkel (1984) : "Les sociologues conçoivent l'homme en société comme un idiot dépourvu de jugement (a judgmental dope)... L'acteur social des sociologues est un "idiot culturel" qui produit la stabilité de la société en agissant conformément à des alternatives d'actions préétablies et légitimes que la culture lui fournit."

    Pour l'ethnométhodologue l'acteur social n'est pas un idiot culturel, il sait très bien ce qu'il fait et pourquoi il le fait ; il est donc responsable de lui-même et doit être respecté en tant que tel. De sorte que l'ethnométhodologue ne doit pas accepter que devant lui, une personne soit bafouée ou humiliée.

    - Subjectivité : "L'idée centrale de l'ethnométhodologie était que toute espèce de réalité devait être considérée comme une construction subjective, ou du moins intersubjective, de personnes qui en parlaient. " (R. De Mille, 1980). En sociologie, par exemple, pour E. Durkheim, le suicide est présenté comme un fait social qui s'impose à nous. Pour Garfinkel, le fait social est le produit de l'interaction d'un ensemble d'individus. Comprendre le fait social, revient donc à étudier l'institution et ses membres, et voir comment ceux-ci interprètent le suicide. Tous les groupes sociaux concernés sont pris en compte dans l'étude du suicide :  l'institution qui traite le suicide, et les membres impliqués (ex : la famille de la personne).

    La finalité de l'ethnométhodologie est de comprendre la motivation du sujet impliqué dans l'acte, de chercher le sens, la compréhension. Les différentes conceptions et théories sociologiques ont toutes pour finalité une objectivité de la connaissance et se modèlent sur des sciences "objectives" telles que les mathématiques ou les statistiques. En sociologie on cherche à objectiver un fait social qu'on retrouve en terme de structure.

    Par opposition l'ethnométhodologie présente une certaine interprétation de la réalité à partir d'un ensemble d'axiomes. La subjectivité renvoie à l'indexicalité : L'indexicalité se caractérise par le processus du langage, l'expression indexicale. Tous nos actes sont accompagnés de langage. Cette indexicalité est l'ensemble des différentes expressions indexicales qui se réfèrent à la culture, à l'espace, au temps.

    L'expression indexicale est un certain langage constitué par un ensemble de mots qui permettent aux membres de communiquer, et nous accordons à ces mots le sens de notre expérience. L'indexicalité suppose un accord entre les membres, tel ou tel groupe concerné et des systèmes linguistiques, symboliques et culturels.

    L'ethnométhodologie demande de se positionner, en tant que membre, à partir de son expérience individuelle, de son système linguistique et culturel. A partir d'une propre connaissance de sa pratique, l'ethnométhodologue va opérer un mouvement de va et vient entre l'indexicalité et l'objectivité. Chacun de nous est impliqué dans l'acte social. L'indexicalité implique l'engagement du membre social. L'indexicalité inclut aussi l'espace et le temps. Chaque espace est marqué par une intentionnalité des membres qui sont présents et qui vont eux-mêmes marquer cet espace.

    - Compétence unique : C'est la capacité de pouvoir dire ce que je pense. L'ethnométhodologie est démocratique car elle rend la parole au peuple. La compétence est la même pour tous dès le départ. Par rapport à la sociologie, l'ethnométhodologue peut dire, au nom de la compétence unique, qu'il va plus loin que le sociologue.

    Garfinkel nous dit que si l'on va sur son terrain d'étude, on peut en dire plus qu'une personne, excellent sociologue mais sans connaissance de l'objet étudié. Ceci permet à l'ethnométhodologue d'être en concurrence avec le sociologue sans avoir à faire de longues années d'étude en sociologie.

    L'utilité de l'ethnométhodologie est de pouvoir se mettre en concurrence avec la sociologie dans une situation de compétence unique. La compétence unique est la compétence du moi, du sujet, en train de pratiquer sur son terrain. Le sociologue, sur le terrain pourrait se servir de sa compétence unique, mais il ne le fait pas. Il ne fait pas apparaître la mise en scène de l'action sociale, il réduit chaque personne, chaque chose, à une abstraction et l'ethnométhodologue peut montrer que cette analyse n'est pas suffisante car elle a omis des informations.

    L'ethnométhodologue et le sociologue ont le même terrain, la même tribu, mais ils n'étudient pas la même chose. Le premier est censé arriver sur le terrain sans idées préconçues, sans a priori ; alors que le deuxième arrive avec une paranoïa induite qui se manifeste sous la forme de ses connaissances théoriques. Il y a une époque où on donnait au sociologue un questionnaire standard avec x questions à poser sur un terrain. A partir de là, on finissait par obtenir à peu près le même rapport, alors qu'à côté, il y avait forcément des mots qui avaient été oubliés, considérés comme des allants-de-soi. L'ethnométhodologue apporte des informations qui n'apparaissent pas dans un rapport de sociologie.

    - Indécidabilité : Kant désigne un ensemble de propositions non décidables à l'intérieur de la raison qui sont les antinomies. Une proposition n'est pas décidable si on peut démontrer à la fois la thèse et l'antithèse.

    Thèse : Le monde a une limite dans le temps et l'espace ; Antithèse : Le monde est éternel et infini. Cette thèse rejoint le point de vue monothéiste, où Dieu a crée le monde, alors que l'antithèse est partagée par les Platoniciens, les Bouddhistes et les Hindouistes.

    Thèse : Tout est simple ou composé de simples ; Antithèse : Tout est complexe ou composé de complexités. Pour les défenseurs de cette thèse, un objet est simple, on ne peut pas le diviser ou le casser en morceaux ; pour les autres tout est sécable à l'infini, (dans ce cas, de quoi serait composé le monde ?). Les premiers pensaient par exemple que l'atome ne pouvait pas être coupé, puis la physique moderne a permis la fission des atomes en particules élémentaires, mais cela ne fait-il pas que reculer le problème ? Par contre la théorie de la relativité (E = MC2), permet de résoudre le problème en faveur de la complexité.

    Thèse : Il y a dans le monde, des causes par liberté ; Antithèse : Tout est nécessaire. Ces deux propositions opposent le libre-arbitre au déterminisme, deux points de vue qui sont toujours d'actualité et que nous développerons à propos du déterminisme astral.

    Thèse : Il existe un être nécessaire au monde ; Antithèse : Tout est contingent. Pour l'une, Dieu existe ; pour l'autre le monde est arrivé par hasard.

    Pour Kant, toute démonstration de la thèse ou de l'antithèse est absurde. Kant croit en Dieu, mais reconnait qu'il n'est pas démontrable. Les propositions indécidables ont fait leur entrée dans les sciences formelles, notamment par l'intermédiaire de K. Gödel. Celui-ci déclarait qu'il n'avait pas trouvé de contradictions dans l'arithmétique, mais qu'il n'avait pas pu démontrer le contraire. Pour K. Gödel, dans tout système formel cohérent contenant la théorie des nombres, il existe des propositions arithmétiques indécidables et la cohérence du système ne peut être démontrée à l'intérieur de ce système.

    Grâce à Kant ou à Gödel, le déterminisme absolu ne peut être applicable, car il y aura toujours des indécidables. Ceci est un principe majeur de l'ethnométhodologie qui introduit un doute systématique sur toute chose étudiée.

    Nous pouvons considérer, comme autre proposition indécidable, le holisme et le réductionnisme. Holisme vient de holon qui veut dire : tout. Le tout pouvait être désigné soit par holon, soit par pan. Holon désigne le tout qui est plus que la somme des parties, un tout irréductible. Pan est un tout dénombrable, par exemple il est possible de compter tous les germanistes du pangermanisme.

    Le réductionniste pense que tout ce que fait le cerveau est réductible à une somme d'opérations simples. Pour lui, le corps est un assemblage de molécules. Le réductionnisme permet d'expliquer des interactions complexes, qui apparemment résistent à toute réduction. Une machine peut donner naissance à quelque chose qui n'est pas prévisible. Il n'est pas possible de prédire ce qui va arriver avant de réaliser toutes les opérations. Il n'est pas possible, par exemple, de réduire les lois météorologiques et de calculer le temps qu'il fera dans un an, car il faudrait plus d'un an pour avoir les résultats, donc c'est imprévisible.

    On peut concevoir une machine qui serait capable de se modifier elle-même. Il suffit que cette machine dépende du résultat qu'elle va trouver, par conséquent elle sera sans arrêt en train de se modifier. Le système réductionniste, alimenté par une autoréférence, débouche sur une modification qui ne pourra jamais être prévue. Cette machine serait en constante modification car elle se constituerait elle-même comme une entrée. On se retrouve de ce fait dans un système réductionniste qui ne débouche pas sur un réductionnisme absolu.
 

4. Le point Zéro ou le Rien

    Le point de vue réductionniste, part du "rien" pour aboutir au "tout", ce qui est l'inverse de la démarche holiste. Pour les sciences "dures", le "rien" est un point d'appui extrêmement fort. Les sciences comme la philosophie, la sociologie, les sciences historiques ont une certaine difficulté dans leur histoire à conceptualiser que le savoir est relié au "rien".

    Il y a une rupture entre les sciences humaines et les sciences dures, ce qui faisait dire à L. Strauss que les sciences sociales n'étaient pas vraiment des sciences. Les paradigmes sont différents, mais le point de rencontre des paradigmes se situe, pour l'ethnométhodologie au niveau du "rien".

    En partant du "rien", cela permet ensuite de construire une représentation du monde à l'aide d'un ensemble d'axiomes. Le point de départ commun entre l'ethnométhodologue et l'ensemble des sciences est le "rien" qui permet d'avoir une communication simple qui abolit toutes les censures. Mais il est vrai que lorsque nous sommes sur un terrain, comme membre, nous n'avons pas du tout le "rien", nous avons des personnes, des visages, des mouvements, des désirs. La relation à l'ethnométhodologie avec le "rien" se fait en déconstruisant à partir des axiomes. Nous allons aborder différents axiomes de ce point de vue en montrant comment ceux-ci découlent les uns des autres.

    - Indexicalité : Elle entraîne une contradiction entre une chose et elle-même. L'indexicalité est un moyen de doute qui fait qu'on peut regarder dans un texte, une phrase puis rencontrer la même phrase un peu plus loin dans le texte et estimer qu'elles se contredisent.

    - Réflexivité : Celle-ci ne fait qu'approfondir cette cassure, car si on prend les deux phrases qui se contredisent, on ne peut arriver en les confrontant à les réunir à les rassembler de nouveau puisqu'il est impossible en inventoriant une version et l'autre d'aboutir à une synthèse : car chacune des versions fait allusion à un contexte, qui lui-même renvoie à une civilisation. Donc nous devons déconstruire la différence entre l'hypothèse d'une indexicalité à une autre, en la ramenant à des éléments communs qui sont des éléments de civilisation. Pour telle personne l'ordre c'est ceci pour telle autre c'est autre chose, de sorte que l'on ne peut pas, de la thèse à l'antithèse, aboutir à une synthèse car chaque point de vue appartient à un contexte différent. Selon la formule de N. Böhr, "le contraire d'une vérité profonde est une autre vérité profonde."

    - Mise en scène de l'action sociale : Elle est une manière de déconstruire puisqu'on nous demande de construire un schéma pour représenter le milieu, le contexte témoin. Les schémas en eux-mêmes sont déjà une manière de démonter la réalité. Le "rien" est déconstructeur et devient constructeur puisque à partir du "rien", il est possible de construire la réalité.

    Lorsque j'arrive sur mon terrain et que j'ai cassé un morceau pour arriver à "rien" comme j'ai des opérations identifiées qui me mènent chaque fois d'un état construit à un état non construit, il est alors possible de reconstruire autre chose. Comme les physiciens, en cassant la matière en atomes, en électrons, en protons, arrivent au "rien", mais ce "rien" se reconstruit en ajoutant les particules les unes aux autres pour fabriquer un nouvel ensemble ordonné.

    - Allants-de-soi - Évidences : L'évidence veut dire que le désaccord équivaut à "rien", donc les allants-de-soi sont quelque chose et ces allants-de-soi pourraient ne pas être partagés si nous nous placions dans un contexte différent, vers d'autres personnes et pour analyser ce qu'est l'évidence il faut non seulement constater le fait qu'il n y a pas désaccord mais ensuite regarder ce que sont les allants-de-soi, en faire l'inventaire parce que, par rapport au véritable "rien" il y a ceci et cela.

    Pour arriver au "rien" il faut donc constater que ce que nous avons comme évidence, se recouvre de deux morceaux : Le désaccord qui n'est pas là, et les allants-de-soi dont nous avons à faire l'inventaire. Ce qui est une chose complexe.

    - Breaching : C'est un moyen pour casser les allants-de-soi, pour montrer ce qui peut être caché sous le "rien", par exemple en utilisant la provocation. Exemple des scénarios que Garfinkel proposait à ses étudiants pour provoquer des situations scandaleuses. Exemple des philosophes cyniques de la Grèce antique, qui défiaient les conventions sociales pour arriver à faire sortir les idées préconçues.

    Exemples : "Quand les grandes personnes parlent, elles parlent" ce qui veut dire que les enfants doivent se taire. "Les domestiques sont les domestiques.", ou encore "Les maîtres sont les maîtres." En apparence ces évidences n'affirment rien alors qu'en réalité elles énoncent une quantité de choses implicites que l'ethnométhodologie propose de décoder.

    - Post analyse : On doit toujours creuser, il y a toujours une boucle infinie qui nous dit de continuer.

    On peut conclure après ce tour d'horizon du "point zéro" que l'approche ethnométhodologique est réductionniste. Mais le point de vue holistique est également ethnométhodologique si on définit le terme "holistique" comme le suggère M. Maffesoli (1990) : "ce qui dans une constante réversibilité unit la globalité (sociale et naturelle) et les divers éléments (milieu et personnes) qui la constituent." Cette définition rejoint les idées de A. Schutz ou E. Goffman considérés parmi les inspirateurs de l'ethnométhodologie.
 

5. Positionnement de l'ethnométhodologie face à la science

    L'ethnométhodologie se définit en tant que corps de science, distinct de ses membres. La science se définit par des personnes ; la linguistique ce sont les linguistes, la mathématique, les mathématiciens, etc. C'est incontestable car l'ethnométhodologie affirme que les sciences sont des ethnosciences. Dans ces conditions comment l'ethnométhodologie se positionne-t-elle face aux autres sciences ?

    Il semble que la plupart des ethnométhodologues sont encore confinés dans ce paradigme que la science est indépendante des scientifiques, qu'elle n'est pas portée par des gens, ils veulent que la science se porte toute seule. En réalité la science est avant tout tributaire de nos perceptions : " L'expérience du monde extérieur n'est jamais possible que par l'entremise de nos organes sensoriels particuliers et de voies nerveuses. Dans cette mesure les objets sont ma création, et l'expérience que j'en ai est subjective, non objective." G. Bateson (1984).

    Le XIXème siècle amena une véritable révolution dans les mathématiques, par l'introduction des géométries non euclidiennes. Pour Euclide, la somme des angles d'un triangle est égale à 180°, ce qui revient à dire que la courbure de l'espace est nulle. En géométrie non euclidienne, certains disent que la somme des angles est supérieure à 180°, par conséquent la courbure de l'espace serait positive, d'autres disent au contraire que la courbure est négative. Dans ces trois univers, on va construire des objets différents.

    On est donc passé d'une représentation figée du monde à une autre mouvante et multiple, qui dépend du point de vue adopté par l'observateur. La géométrie euclidienne devait représenter la réalité physique, de sorte qu'un triangle devait être vrai. Dans la géométrie non euclidienne, on invente des axiomes, et on s'arrange à ce qu'ils correspondent à quelque chose d'utilisable.

    En mathématique, il existe trois écoles :
1) L'école platonicienne : Les platoniciens considèrent que les mathématiques ont un sens, qu'elles sont découvertes et non inventées.
2) L'école axiomatique ou formaliste : Les formalistes estiment que les mathématiques n'ont pas de sens ; qu'on peut inventer ce qu'on veut, il suffit de définir des axiomes, les mathématiques sont le résultat d'un choix d'axiomes.
3) L'école intuitionniste : Les intuitionnistes pensent qu'il n'y a pas de principes a priori : ce que nous faisons se ramène à l'utilisation d'une espèce d'intuition dont nous ne connaissons pas vraiment la nature.

    Pour l'ethnométhodologie, une démonstration rigoureuse est une démonstration qui est admise par la mode actuelle. Dans le village des platoniciens, on affirme que, malgré l'absence de tout observateur, un arbre fait du bruit en tombant, pour l'ethnométhodologie, on ne peut pas l'affirmer.
 

6. Éthique de l'ethnométhodologie

    Si la science est portée par chacun de nous, cela veut dire qu'il y a une légitimité de chacun des "moi". L'enseignement tel qu'il est construit, d'étape en étape, du primaire au secondaire, décrète que seul l'ordre est légitime. L'ordre social serait le moule premier qui seul peut fonder la légitimité de l'individu.

    Dans le système ethnométhodologique, tout commence par le respect des gens, et du respect du peuple, émerge l'ordre. La vérité vient du peuple avec toutes ses composantes, ses bizarreries, ses finalités qu'on ne peut pas censurer. En ceci, l'ethnométhodologie rejoint le point de vue de la psychanalyse. Si on occulte les informations qui concernent le moi, il est impossible d'atteindre la vérité, car on fait disparaître une des ressources qui conduisent à la vérité.

    La démarche ethnométhodologique conduit à un certain moment à une réflexion à propos du respect des gens qui est le point de départ d'une réflexion politique. Des tentatives d'études scientifiques ont été faites pour montrer que le moi est le résultat de modèles, de pulsions, etc.

    Si on arrive à faire du moi la conséquence du terrain, des axiomes, on se retrouve devant la contradiction de ne plus pouvoir prouver la vérité, puisque la vérité s'appuie sur moi et "moi" est le résultat d'une analyse qui est elle-même fondée sur des axiomes. Il faut donc que nous fassions partir la réflexion ethnométhodologique d'une affirmation d'irréductibilité. Il y a un moi irréductible qui est un axiome de départ, un axiome personnel, qui est libre et qui porte la théorie de la connaissance.

    Dans la mesure où on laisserait occulter notre point de vue pour répéter ce qu'on doit dire, on n'est plus dans le canevas ethnométhodologique qui commence par le respect de soi-même, par l'idée qu'on est responsable, qu'on porte la science. L'ethnométhodologie est le choix d'une lutte, elle est assez contestataire, révolutionnaire car le schéma ethnométhodologique, qui fait de nous un moteur du savoir, fonctionne dans toutes les disciplines et suppose qu'on ait notre point de vue personnel sur Lacan, Freud, Marx, etc.

    L'ethnométhodologie propose une attitude de déconstruction du savoir tout entier. Si on prend le savoir des différentes disciplines comme un terrain, on casse cette chose là avec les axiomes, on reproduit cette chose en morceaux, on replace cela en face de notre moi individuel et on fait de cela notre culture.



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2ème partie (suite)

2ème partie (fin)



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