CORPUS NOSTRADAMUS 32 -- par Patrice Guinard

An excellent Tretise : Le pseudo-traité de la peste de 1559
 

Certains spécialistes (dont Leroy et Benazra) ont pu croire que Nostradamus a rédigé un Traité de la Peste, confondant cette adaptation anglaise d'un original introuvable avec Le Remede tresutile contre la Peste (1561), une autre contrefaçon parue chez l'imprimeur parisien Guillaume de Nyverd (cf. "Le Traité des Fardements et des Confitures (Bibliographie 1552-1572)", nn.9 a-e, CURA, 2006). Rares sont les bibliographes qui ont vu l'ouvrage puisque presque tous (Graesse, Leoni, Chomarat, Benazra, etc.) reprennent l'orthographe de Brunet au nom de l'imprimeur, "John Daye", plutôt que celle mentionné au titre, "John Day" (sur cet imprimeur, cf. Ames & Herbert, 1819, p.40 sq.). Brind'Amour range cet opuscule parmi les "ouvrages authentiques" de Nostradamus !
 
032A An excellent Tretise, shevving suche perillous, and contagious infirmities,
as shall insue [sic] 1559 and 1560

vvith the signes, causes, accidentes, and curation, for the health of such as inhabit the 7, 8, and 9 climat
compiled [sic] by Maister Michael Nostrodamus [sic], Doctor in Phisicke,
and translated into Englysh at the desire of Laurentius Philotus, Tyl.

London, John Day, [1559], in-8, 32 pp.

° Bodleian Library, Oxford: 8° E 28(1) Art.BS.

- Ames & Herbert, 1819, n.1914, p.70-71
- Halliwell, 1849, n.55, p.35
- Brunet 4, 1863, c.108
- Graesse 4, 1863, p.690
- Lowndes 4, 1864, p.1708
- Arber 1, 1875, p.101
- Jahn, 1904, p.1989
- Pollard / Redgrave, 1926, n.18694
- Leoni, 1961, p.86
- Leroy, 1972, p.140
- Pollard / Redgrave 2, 1976, n.18694
- Capp, 1979, p.372
- Chomarat, n.38
- Benazra, p.42
- Brind'Amour, 1993, p.480


 
Composition de l'ouvrage
- titre (f.A1r)
- index (f.A1v)
- préface (ff.A2r-A3r)
- régimes à suivre pour chacune des quatre saisons, de l'hiver à l'automne (ff.A4r-A7r)
- remèdes et conseils contre la peste (ff.A7r-B1r)
- remèdes pour diverses maladies courantes : fièvres, rhumes, coliques, etc (ff.B1v-B8r)
 

Le titre de l'ouvrage, imprimé en mars 1559 d'après la mention figurant in fine, rappelle par ses négligences la contrefaçon anglaise de 1562 (cf. "Un almanach Sutton pour l'an 1562", CURA, 2006). Le texte aurait été "compilé" par Nostradamus, orthographié "Nostrodamus" ! La faute typographique "insue" pour issue pourrait être le lapsus révélant les intentions et agissements des contrefacteurs. En outre les dates au titre de l'exemplaire d'Oxford, le seul que je connaisse en bibliothèque publique, ont été maquillées (1569 et 1566 pour 1559 et 1560). Le protestant John Day sera d'ailleurs taxé 5 shillings par les autorités de la corporation pour avoir imprimé cet opuscule sans autorisation : "John Day for pryntinge of a boke without lycense Called "an Excelent treates made by NOSTERDAMUS [sic]" ys fyned at 5s" (Arber, p.101). Les deux années mentionnées au titre du traité des Significations (Les Significations de l'Eclipse, qui sera le 16 Septembre 1559 laquelle fera sa maligne extension inclusivement, jusques à l'an 1560 ) ont servi de modèle au titre de la contrefaçon britannique prétendûment datée du 12 août 1558, soit seulement deux jours avant le faciebat du traité des Significations (cf. CN 119).
 
 

 

Les "climats" mentionnés au titre sont adaptés à l'Angleterre (9e climat), mais non à la Provence (4e climat) ni à Marseille (6e climat), d'après la géographie de Du Pinet (1564, pp. xxvii-xxix). La préface, datée du 12 août 1558, s'adresse au Seigneur "Emanicu" [sic] pour "Emanieu" (ou Amanieu), évêque de Mâcon. Dans ce texte, l'auteur déclare, dans un style qui ne ressemble pas à celui de Nostradamus, avoir reçu le 26 mai 1558 des lettres de l'évêque, dans lesquelles ce dernier lui aurait demandé, suite à la lecture de l'almanach et de la pronostication que Nostradamus lui aurait fait parvenir auparavant, de publier le résultat de son expérience et de ses recherches médicales, comme un avertissement pour la santé des hommes auxquels l'année à venir présage diverses maladies de toutes sortes, parfois mortelles. Cette entrée en matière est le prétexte d'une dizaine de chapitres traitant de maladies et de recettes censées les soulager.
 
 

 

Diverses erreurs, dont l'orthographe du nom du destinataire de la préface, et la mention "At Salon, in the province of Craux" pour "Salon de Craux en Provence", font penser qu'il s'agirait bien d'une traduction d'un original écrit en français.
 
 

 

Le texte présente diverses préparations fantaisistes en imitant visiblement le Traité des Fardements et des Confitures, à commencer par le titre, qui reprend celui de l'édition lyonnaise de 1555 : Excellent & moult utile Opuscule. Au chapitre 26 du traité des Fardements (1e partie), Nostradamus présente une composition "que souvent ay fait faire pour monseigneur le reverendissime Evesque de Carcassone, monseigneur Ammanien de Foys" [p.92]. Les faussaires y auront trouvé un destinataire de la préface : Amanieu de Foix, évêque de Mâcon depuis 1556 (cf. "Excellent & moult utile Opuscule", CURA, 2006).

Ainsi Nostradamus aurait entrepris cet opuscule de recettes et de remèdes afin de soulager des maladies qui pourraient sévir en 1559 et 1560, souhaitant à son destinataire une longue vie et une excellente santé. Or Amanieu meurt en 1559.

A force de lire certains opuscules ineptes et de travailler dans la jungle des almanachs pseudo-nostradamiques produits par des imprimeurs, des plagiaires et des farceurs de tous genres, pour des raisons diverses mais principalement pour faire de l'argent à travers le pastiche -- les "Nostradamus le jeune", Crespin et autres Philippo dit Nostradamus étant des équivalents de nos comiques actuels, mais en moins drôles --, on commence à acquérir une sorte de flair pour distinguer le vrai du faux. Ainsi, il y a environ trois ans, j'avais averti certain "spécialiste" britannique du caractère contrefait de la préface à Jean de Vauzelles dans la Prognostication nouvelle pour l'an 1562, dont il a existé plusieurs versions recensées parmi lesquelles la version Regnault. Dans une contrefaçon de l'Almanach pour l'an 1563 parue encore chez la parisienne Barbe Regnault, le texte aurait été dédié à Françoys de Lorraine, duc de Guise, lequel venait de mourir.

C'est probablement le même gag qui a été utilisé dans le cas présent, peut-être déjà par le même imprimeur. Amanieu (ou Amanien) de Foix, second fils du comte de Candale et de Benauges Gaston II de Foix (+1500) et d'Isabelle d'Albret, fut abbé de Saint-Ferme près de Duras (1532), protonotaire du Saint-Siège (1542), évêque de Carcassonne (janvier 1552) puis de Mâcon (juillet 1556). En 1558 il est nommé évêque de Bazas par permutation avec Jean Baptiste Alamanni, mais meurt dans son château de Castillon-sur-Dordogne fin 1558 ou début 1559 avant d'avoir pris possession de son nouveau siège (O'Reilly 205 ; La Rochette 476 : al.)

Le Traité de la peste de 1559 et l'Almanach pour l'an 1563 (version Regnault) sont dédicacés à des morts ! On espère ainsi attirer dans le camp des railleurs, les badauds piégés par la production pseudo-nostradamique.

Le gouverneur de Provence Claude de Savoie avait épousé en secondes noces Françoise de Foix-Candale, fille de Jean, comte de Gurson et de Fleix. En outre, Jeanne de Foix, la fille d'Alain de Foix, vicomte de Castillon et frère aîné d'Amanieu, avait épousé le marquis de Villars Honoré II de Savoie (1511-1580), le frère cadet de Claude. Le chevalier Alain de Foix était le fils du Gaston II de Foix, le frère de Jean.

Ainsi les frères Claude et Honoré de Savoie, avaient tous deux épousé des filles De Foix, et la nièce d'Amanieu était mariée au frère du comte de Tende, Claude de Savoie, à qui Nostradamus dédie son Almanach pour 1560 écrit au printemps 1559. Le pseudo-traité de la peste a dû paraître fin janvier ou courant février 1559, immédiatement après le décès d'Amanieu, chez un éditeur parisien hostile à Nostradamus, peut-être chez Barbe Regnault. La publication anglaise reprendrait ce texte en partie ou en totalité.

A travers ces publications, ce n'est pas seulement Nostradamus et ses écrits qui sont visés, mais aussi ses protecteurs. A l'hostilité envers le salonais et ses succès de librairie, se greffent probablement des intérêts politiques et confessionnels.

 
 
Retour à l'index
Bibliographie
Retour Nostradamica
Accueil CURA
 
 
Patrice Guinard: An excellent Tretise : Le pseudo-traité de la peste de 1559
http://cura.free.fr/dico5ct/609Bext59.html
08-09-2006 ; last updated : 15-03-2019
© 2006-2019 Patrice Guinard