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Compte-rendu de :
Horoscopes and Public Spheres. Essays on the History of Astrology
par Patrice Guinard


Edited by Günther Oestmann, H. Darrel Rutkin & Kocku von Stuckrad
Berlin: Walter de Gruyter, 2005
1 vol., 15.5 × 23 cm., 290 pp. ; black & white illustrations.
ISBN 978-3-11-018545-4. Hardcover. € 84.

Reviewed by Dr. Patrice Guinard, Independant scholar, Director of CURA.
 

"Avons-nous le droit d'attribuer aux esprits de cette époque notre précision et notre clarté de pensée, notre sens commun, ou notre esprit scientifique? Est-il juste de prendre les mots dans lesquels ils ont exprimé leur pensée et de les interpréter en fonction de nos connaissances et de notre état d'esprit, de lire leurs discours avec nos idées et nos découvertes, de réorganiser leurs expressions déconnectées dans des systèmes qu'ils ne pouvaient construire, de s'efforcer de retrouver par rien d'autre qu'une sorte d'interprétation allégorique notre philosophie, notre science et nos idéaux dans leurs écrits ?" (Lynn Thorndike)

Ce volume est un recueil de quinze articles réécrits d'après les communications faites au congrès "Horoscopes and History" qui s'est tenu à Amsterdam en juillet 2004 et réunissait Anna Caiozzo, David Pingree, Eva Orthmann, Günther Oestmann, H. Darrel Rutkin, Josefina Rodríguez-Arribas, Josèphe-Henriette Abry, Kocku von Stuckrad, Monica Azzolini, Nicholas Campion, Patrick Curry, Stephan Heilen, Steven Vanden Broecke, et Wolfgang Hübner. Ils couvrent l'aire occidentale sur une vaste période, des Babyloniens jusqu'à l'enseignement de l'astronome-astrologue Johann Pfaff à Würtzburg puis Erlangen, en passant par les Romains, les Arabes et la Renaissance. Parmi les articles, on appréciera le style alerte de David Pingree sur Messahallah, plutôt que les laborieuses et ennuyeuses arabesques d'un Campion, qui donne l'impression de broder sur ce qu'il a lu ailleurs. On s'étonnera que l'article de Vanden Broecke sur les collections d'horoscopes à la Renaissance se contente de reprendre une liste de Grafton ("Geniture collections ...", 2000) et continue à ignorer le Tractatus astrologicus de Luca Gaurico. Mais la priorité de cette présente review est de répondre à l'introduction de l'ouvrage.



"It is not a waste of time to investigate on what others did waste theirs" : Isn't it, really ?

L'introduction d'Oestmann, Rutkin et von Stuckrad (SRO) entend donner le ton au recueil. Elle débute par la fameuse boutade de Bouché-Leclercq, reprise par nombre d'historiens de l'astrologie et même par des spécialistes qui lui sont moins familiers (cf. par exemple le "Discours du Président" André Dupont-Sommer à Académie des Inscriptions et Belles-lettres, vol. 111, 1967, p.561) : c'est une sorte de signal de ralliement émis à destination des universitaires et des chercheurs académiques, les autorisant en quelque sorte à ne pas craindre d'engager des recherches sur un sujet tabou et méprisé depuis plusieurs siècles : "On voudra bien ne pas prendre pour un paradoxe ma conclusion : à savoir, qu'on ne perd pas son temps en recherchant à quoi d'autres ont perdu le leur." (L'astrologie grecque, 1899, p.ix). La citation de SRO est mal coupée : une subordonnée sans principale, i.e. "A savoir, qu'on ne perd pas son temps ...", et on peut s'interroger sur ce auquel se réfère l'expression "à savoir" !

J'ai montré dans mon Manifeste, ignoré par SRO, combien la boutade prétentieuse de Bouché-Leclercq pouvait s'avérer méprisante, voire marquée d'ignorante superbe, envers des cultures entières, à commencer par la Mésopotamienne. Et le constat de SRO, à savoir que l'astrologie "was generally looked upon condescendingly as a curious aberration of the human mind undeserving of serious consideration", est précisément l'une des considérations développées au chapitre 11 de mon Manifeste (L'ANIMOSITÉ DE L'HISTORIEN), pour laquelle j'ai donné quelques exemples significatifs, dans le passé proche comme dans un passé plus éloigné.

Mais la question étant posée, l'attitude des historiens a-t-elle réllement évolué quant au traitement de l'astrologie ? C'est sur ce point que j'essaierai de répondre par ma lecture de l'avant-propos de SRO.


Encore un petit effort ! ... ( Another little effort )

Quelques éléments plaident en faveur d'un changement d'attitude envers l'astrologie : la reconnaissance de son rôle important au sein de la culture européenne (p.2) -- encore que n'est été mise en place aucune véritable chaire d'histoire de l'astrologie au sein des universités occidentales --, le questionnement du statut ontologique de l'astrologie, transfiguré par l'obscurantisme des siècles passés sous les qualificatifs de pseudo-science ou de superstition (p.2-3), l'importance de l'astrologie pour la compréhension des sociétés et des cultures qui l'ont intégrée comme un élément essentiel de leur environnement mental (p.5), le rôle de l'astrologue et du praticien dans la cité, etc.

Mais ce laborieux cheminement de la conscience intellectuelle occidentale est loin d'avoir tiré toutes les conséquences des errements passés. L'astrologie n'est toujours pas étudiée pour elle-même comme la mathématique, mais pour les éclairages auxiliaires qu'elle pourrait apporter à d'autres disciplines, comme dans l'ouvrage précurseur de Franz Cumont, L'Égypte des astrologues. Les auteurs de la préface citent Newman/Grafton (2001) : "trying to understand the society and culture of early modern Europe without taking astrology into account is exactly as plausible as trying to understand modern society without examining the influence of economics and psychoanalysis", autrement dit une lapalissade qui ne va pas au-delà de la position de Cumont en 1937. On continue d'enterrer l'astrologie vivante, de la discréditer au nom de l'histoire des cultures, laissant l'étude de ses pratiques actuelles aux valets de l'idéologie dominante et aux sociologues.

Il n'existe toujours pas d'épistémologie de l'astrologie parce que les historiens ignorent les débats astrologiques actuels, et parce qu'ils n'ont pas d'oreille pour les propositions et avancées des traités astrologiques modernes. Autrement dit l'astrologie est toujours considérée comme une discipline du passé, et les seules études concernant son présent sont de nature sociologique, caricaturales et idéologiquement fortement connotées (cf. mon Manifeste, chap. 12, LA SOPHISTIQUE SOCIOLOGIQUE et ma réponse à Patrick Peretti-Watel (Revue Française de Sociologie, 2002) dans "L'Antiprognosticon du théologien anglican William Fulke (1560)".

On n'autoriserait pas un historien ou un épistémologue des sciences ignorant des avancées de la physique ou des disciplines scientifiques, à disserter sur leur passé. C'est pourtant la situation encouragée pour l'histoire de l'astrologie en Académie. De nombreuses études, pour la plupart se recopiant les unes les autres, ont été publiées sur l'astrologie de Képler ou sur celle de Cardan, mais il n'est pas certain que ces auteurs anciens, pourtant parmi les plus prestigieux, aient été de bien meilleurs guides et rénovateurs pour cette discipline que certains de leurs homologues actuels ou du siècle passé ; je pense par exemple à Paul Choisnard ou à Dom Néroman en France.

Les historiens des mathématiques, de la biologie, de la peinture, sont supposés avoir une solide formation en ces domaines, alors que la connaissance de l'astrologie n'est pas requise pour faire oeuvre d'historien en cette discipline. Comment l'historien de l'astrologie pourrait-il être en mesure d'évaluer l'intérêt d'un modèle astrologique ou de certaines innovations techniques, s'il n'a pas la moindre idée de ce que sont peuvent être les modèles actuels de l'astrologie, ce que les astrologues ont retenu ou écarté des modèles anciens, et pour quelles raisons ? L'historien de l'astrologie reste étranger aux apports et innovations de l'astrologie présente, et au savoir qu'elle véhicule. Il vit dans le passé et est incapable d'élaborer une perspective pour les modèles qu'il étudie.

Les signataires de l'introduction continuent de raisonner dans leur club académique de lecteurs et professeurs autorisés, ignorant les conclusions du chapitre 63 de ma thèse de 1993, lesquelles vont au-delà des maigres avancées de leur propos, mais y autorisent l'entrée d'astrologues fraîchement promus dans les sphères académiques comme Nicholas Campion, l'homme-orchestre de l'Astrological Association de Londres (cf. ColdBaby 2/4, "Additional Note"), qui a réussi à trouver une place dans une unité de recherche universitaire grâce au legs d'une donatrice britannique (cf. http://www.rudolfhsmit.nl/h-chai2.htm). Leur aurait-on même donné la parole au sein de cette brochette d'invités sans cette récente promotion ?

Même si un ton nouveau est délibérément donné en exergue de ces études historiques, les spécialistes patentés de l'histoire de l'astrologie ancienne, outre les pétitions de principe, restent bien en-deça d'un Bartel Van der Waerden qui n'hésitait pas en 1953 à mentionner les travaux de l'astrologue chercheur Cyril Fagan, ou encore des déclarations de Lynn Thornike dans sa thèse de 1905 (p.108-109) ! Le ton de nos historiens récents affiche encore des relents de meae culpae et le discours est loin de s'être totalement émancipé des affres ataviques issues de l'obscurantisme des siècles passés.

Alors, en réplique amicale à des propos dont la mièvrerie ne fait qu'épouser ce qui est dans l'air du temps, et pour encourager ceux qui voudront bien prendre un relai plus ferme, je tenterai de véritablement répondre à la question :


"A quoi reconnaît-on un historien bien disposé envers le fait astrologique ?"

- à ce qu'il cesse d'adopter le ton de supériorité condescendante vis-à-vis de l'astrologie, de ses modèles, et de ses acteurs. Rien que sur ce critère, les choses n'ont guère évolué et bien rares sont les chercheurs, surtout parmi les arrivants, qui ne peuvent s'empêcher de glisser dans leurs propos telle petite phrase désobligeante, signifiant qu'ils s'identifient à la caste des érudits qui ne croient pas à l'astrologie, mais ne font qu'en mesurer l'impact. Aucune dénégation ou profession de foi n'est en revanche demandée aux économistes et météorologues patentés, voire aux physiciens sur la mythologie du Big Bang.

- à ce qu'il expose avec probité les thèses des astrologues, et pas seulement celles de leurs opposants. Thorndike par exemple satisfait ce critère.

- à ce qu'il fasse la distinction entre "astrologie savante" et "astrologie vulgaire". L'astrologie savante aurait disparu au XVIIe siècle (avec Kepler, Campanella et quelques autres) pour la plupart des historiens, non pas en raison du contenu des traités qui ont été imprimés depuis, mais en réalité parce qu'ils ont été écrits par des astrologues n'appartenant plus à la caste des savants et érudits patentés. Ce dogme continue à régner.

- à ce qu'il daigne prendre en compte des publications qui ne figurent pas sur les étalages des bibliothèques de recherche, lesquelles filtrent les ouvrages et les articles selon leur provenance.

- à ce qu'il cite le cas échéant des astrologues et professionnels de l'astrologie, dont les études, pour certains d'entre eux, valent celles des chercheurs patentés par l'académie. Je pense notamment à l'un des rares historiens qui ait osé prendre en compte et citer les travaux d'un astrologue : il s'agit de Van der Waerden, déjà mentionné, citant le Zodiacs, old and new (1950) de l'astrologue irlandais Cyril Fagan.

- à ce qu'il autorise que des espaces soient réservés aux chercheurs n'appartenant pas au milieu dans les revues, journaux, magazines, etc., distribués essentiellement dans les bibliothèques publiques et donc payées par le contribuable. Ce problème concerne l'astrologie et aussi d'autres domaines connexes, comme la prophétie et l'eschatologie (cf. mon épilogue de "Misère de la recherche académique et universitaire sur Nostradamus").

[Même la malheureuse Laura Smoller de l'université de l'Arkansas, "auteure" d'un excellent ouvrage sur Pierre d'Ailly, écrit dans "Apocalyptic Calculators of the Later Middle Ages" (in Knowing the Time, Knowing of a Time, 3rd Annual Conference of the Center for Millennial Studies, Boston, December 6-8, 1998) : "By 1563 Michel de Nostradamus in his almanacs was predicting the world's end for 1567 or 1568." Smoller extrapole ce qu'elle a trouvé chez Crouzet (cf. CN 50) lequel cite un passage de l'Almanach pour 1563 (édition Roux) d'après Buget et sans indication de source. Cette prétendue fin du monde pour 1567 ou 1568 n'est pas ce qu'écrit Nostradamus, lequel ne dresse qu'un portrait des derniers temps, métaphoriquement et comme transporté dans le futur, à supposer qu'il ait bien été l'auteur de cet almanach -- ce que Buget réfute.

Crouzet complète son dossier sur cette question à la page 128 de son ouvrage (réédité en 2005), et joint aux extraits de Buget (dont le latin, "Quis, talia fando, temperet a lacrymis", non identifié, provient du second livre de l'Énéide de Virgile) une "Prophetie merveilleuse" portant sur la "date cruciale de 1567", qu'il croit être de Nostradamus, alors qu'il s'agit d'un faux manifeste concocté sous le nom de l'imposteur Mi. Nostradamus le Jeune ! Décidément il reste pas mal de chemin à tracer chez les universitaires pour cerner une littérature qui leur échappe presque en totalité, surtout s'ils persistent à recopier les erreurs et bourdes qui figurent dans les seuls ouvrages produits dans les fabriques académiques et diffusés dans leurs "libraries". On n'est décidément pas sorti de l'obscurantisme nostradamique. Cf. aussi : " A quand une édition complète des oeuvres de Nostradamus ? "

Autres malheureux exégètes anglosaxons s'aventurant dans l'univers nostradamien, avec pour seuls bagages un Dupèbe et un Brind'Amour mal lus ou trop vite parcourus : William Newman, Anthony Grafton et Nancy Siraisi qui supposent que Nostradamus tenait une officine pour dresser ses thèmes ("a little boutique") et son savoir astrologique de son père et de son grand-père (cf. William R. Newman et Anthony Grafton (eds), Secrets of Nature (Astrology and Alchemy in Early Modern Europe), Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, 2001, p.11 et p.93). Cf. le compte-rendu de l'ouvrage au CURA, sept. 2002.

Le Dictionary of Gnosis & Western Esotericism sous la direction de Wouter J. Hanegraaff (Leiden, Brill, 2006) n'a pas même d'entrée pour Nostradamus, mais discute abondamment des François-Charles Barlet, Annie Besant, Max Heindel et al., préférant babiller sur les pseudo-ésotérismes franc-maçonniques et rosicriciens de pacotille plutôt que d'aborder le véritable hermétisme. Une Ornella Pompeo Faracovi, auteure d'un "Éloge de l'astrologie" paru dans Diogène en 1998 et présentant de curieuses similitudes avec la première version publiée de mon "Manifeste pour l'astrologie" (parue dans la revue L'Astrologue en 1996-1997), se contente d'observer que Nostradamus est généralement critiqué par les astrologues ptoléméens sans donner plus de précision, sinon une date de décès fautive du provençal, i.e. "1560" (p.134) !]


- enfin à ce qu'il accepte au moins comme une hypothèse, celle avancée par les authentiques astrologues -- non ceux qui en usurpent la fonction en produisant des horoscopes et prédictions à destination d'un public de badauds -- à savoir l'influence des astres sur les tempéraments et les mentalités collectives.

- et par conséquent à ce qu'il étudie l'astrologie pour elle-même, et non dans un encadrement disciplinaire qui lui soit extérieur (histoire des religions, histoire de l'astronomie, histoire des mentalités, folklore, etc.), et qu'il cesse de tromper ses collègues en insinuant que l'astrologie sérieuse a disparu du champ des connaissances.


[Je remercie les éditions Walter de Gruyter qui m'ont aimablement envoyé cet ouvrage instructif.]

 
 

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Patrice Guinard: Compte-rendu de 'Horoscopes and Public Spheres', 2005
http://cura.free.fr/09-10/1003hpsph.html
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