CORPUS NOSTRADAMUS 50 -- par Patrice Guinard
 

Antoine Couillard et la fin des temps annoncée par les astrologues
 

Dans ses Propheties de 1556, Couillard s'en était pris à celles de Nostradamus sans vouloir le nommer (cf. CN 49). En revanche dans Les Contredicts (1560) où il figure au titre et en début de chaque livre, il en est peu question en dépit de l'intention proclamée ("contredire & abollir les nouvelles, faulses & abbusives propheties de Nostradamus", f.+6r), mais davantage des "astrologues & nouveaulx prophetes" (f.A2v) et de leur prétention à vouloir déterminer le futur. En particulier Richard Roussat, nommément mentionné aux folios C5v, C8r et N7r, est dans le collimateur du gentilhomme du Pavillon pour ses théories sur l'achèvement des temps conformément aux cycles et âges planétaires, jugées insupportables.

Mais c'est le nom de Nostradamus qui faisait vendre, non celui de Roussat, et les divers pamphlets parus entre temps contre l'astrophile de Salon auront favorisé l'audace de Couillard d'ajouter le patronyme de l'astrophile en exergue à son ouvrage -- assez bon calcul en somme, car les nombreuses mentions des Contredicts dans les catalogues de vente attestent de sa large diffusion, notamment dans la capitale. Ce serait même le troisième ouvrage le plus collecté après l'édition Jansson des Prophéties (1668) et la Concordance de Guynaud (1693).
 

050A Les Contredicts aux faulses & abbusifves propheties
de Nostradamus, & autres astrologues

Paris, Charles l'Angelier, 1560, in-8, 140 ff.

° ÖNB Wien: BE.11.R.38
° Arsenal Paris :  8° S 14332, 8° S 14333, 8° S 14334, 8° S 14335 (4 exemplaires)
° BnF Paris : V 21815, Rés. Ye 1793 ou anc. cote V 2414 (2 exemplaires)
° Ste-Geneviève Paris : 8° V 695 (8) Rés
° BM Versailles : fds Goujet G 8° 100 (E 395c)
° BM Orléans : 8° C 3193 (une dizaine de pages manquantes)
° BM Le Mans : SA 4' 3523
° BU Montpellier : 46 408
° BL London : 718.c.10.(1)
° Rossiiskaya Natsionalnaya Biblioteka, Saint-Pétersbourg: 36.67.4.4
 
- La Croix du Maine, 1584, pp.13 et 330
- Du Verdier, 1585, p.61
- Giffre de Rechac, 1656, p.9 ("Charles l'Anglois" !)
- Guynaud, 1693, p.15 ("Charles Langlois")
- CAT Colbert, 1708
- CAT Bulteau, 1711
- Haitze, 1711, p.85 ("Coulard", "Charles Langlois")
- CAT Boissier, 1725
- CAT Colbert de Seignelay, 1728
- CAT Hoym, 1738
- CAT Carpentier, 1739
- CAT Bellanger, 1740
- CAT Colbert de Croissi, 1740
- CAT Barré, 1743
- CAT Senicourt, 1766
- CAT Lauragais, 1770
- CAT anonyme, Paris, 1773
- CAT Filheul, 1779
- CAT La Vallière, 1784
- CAT Baron, 1788
- CAT Bolongaro-Crevenna, 1789
- CAT Bonnier, 1799
- Fournier, Dictionnaire, 1805, p.98
- Bellaud, 1806, p.16
- Michaud 10, 1813, p.89
- Nodier, 1829, p.236
- CAT Hanrott, 1833
- Ebert 3, 1837, n.14898-B
- CAT Scott, 1838
- CAT Audenet, 1839
- Bareste, 1840, p.205
- CAT De Gide, 1841, n.246
- CAT Commandeur, 1842, n.300, p.24
- Bibliophile belge 5, 1848, p.104
- CAT Saint-Albin, 1850
- Buget, 1861, p.93
- CAT Techener, 1861, n.202
- Brunet 2, 1861, c.334, et 6, 1865, c.536
- Graesse 4, 1863, p.690
- Hoefer 38, 1864, c.304
- CAT Desq, 1866
- CAT Yemeniz, 1867
- CAT Sazerac, 1881
- Houzeau / Lancaster 1, 1887, n.4879
- CAT Pichon, 1898
- Kellen, 1904, p.921
- Delpy 1, 1906, n.477
- Gardner, 1911, n.239
- Caillet 1, 1912, n.2650
- Parker, 1920, p.60
- CAT Rigaux, 1931, n.9 (vendu 150 F)
- Millet, 1987, p.105
- Chomarat, 1989, n.45
- Crouzet, 1990, p.141
- Benazra, 1990, p.45
- CAT Ruzo-Swann, 2007, n.76 (vendu 1560 $)

 
Un premier permis d'imprimer est délivré par le Parlement de Paris le 13 décembre 1559. L'épître à François Le Cirier, Seigneur de Montigny, écrite ou remaniée après cette autorisation, est datée du 1er janvier 1560 (nouveau style). Le privilège du roi est accordé à l'auteur et à son imprimeur le 15 février 1559 (ancien style, id est : 1560).
 

Composition de l'ouvrage

f.+1r : titre (1 p.)
f.+1v : permis d'imprimer (1 p.)
ff.+2r-+6v : épître à François Le Cirier (10 pp.)
ff.+7r-++4r : quatrains (11 pp.)
f.++4v : vignette de l'imprimeur : "Les Anges liés" (1 p.)
ff.A1r-C4r : première partie (39 pp.)
ff.C4v-F7r : deuxième partie (54 pp.)
ff.F7v-K1v : troisième partie (53 pp.)
ff.K2r-P4v : quatrième partie (86 pp.)
ff.P5r-Q4r : épigrammes et pièces diverses de Couillard et des Marot (15 pp.)
f.Q4v : privilège du roi (1 p.)
f.*1r-*4v : table (8 pp.)

Couillard, Contredicts, Charles l'Angelier, 1560

Dans ses Propheties, Couillard annonce que ses Contredicts sont déjà rédigés : "j'ay, oultre le present opuscule, composé quatre petites particules (...) et les eusse ja par folle hardiesse ou autrement faict presenter au Roy, à la Roine & à leur conseil, si j'eusse osé, & aussi eu le loisir les faire voir & examiner à quelques grans personnages, afin que pour les faire tenir en si hault lieu, elles fussent paraventure mieux et plus disertement limées, polies & applanies" (Propheties, f.A4r).

Les Contredicts sont des "discours traictez es quatre livres que j'ay, en dressant le present, composez pour destruire ses diableures propheties" (Propheties, f.G4r), c'est-à-dire celles de Nostradamus. Chacun des quatre livres avait originellement un destinataire privilégié : le Roi, la Reine, le cardinal Odet de Châtillon, et son oncle le connétable Anne de Montmorency. En raison du décès du roi Henry II en 1559, cette distribution a été abandonnée.

Couillard ajoute : "mon petit labeur par moy composé des l'an mil cinq cens cinquante cinq, & non encore mis en lumiere pour la malice du temps" (f.+6r). Comme le note Buget, le voyage de Nostradamus à la cour durant l'été 1555 a pu être une raison du retard de sa publication. Une grande partie de l'ouvrage a été rédigée en 1555, vraisemblablement après la vision du 24 juillet 1555 décrite en F3v, et comme l'attestent aussi les calculs chronologiques relatifs à la durée du monde, car l'année 1555 est rajoutée à partir de la nativité du Christ dans les divers décomptes des historiographes mentionnés aux chapitres 13 et 14 du dernier livre.

Cependant de larges passages ont été remaniés après 1555 : Couillard mentionne ses Propheties de 1556 (ff.A1r et I3v), ses Antiquitez de 1557 (ff. B3r, C1r, C5r, M5v, M7r), ainsi qu'une comète apparue dans la région d'Orléans le mercredi 4 mars 1556, et visible jusqu'au 16 mars (f.H7r).

L'ouvrage est une condamnation de la prédiction astrologique, s'appuyant sur une multitude de citations bibliques et d'autorités ecclésiastiques, pères de l'église et théologiens. Divers philosophes, médecins et même quelques astrologues classiques sont mentionnés en soutien d'une argumentation répétitive et sans originalité : Hippocrate, Lucrèce, Cicéron, Ptolémée, Abraham Avenara (Ibn Ezra), Aphraganus (Al-Farghânî), Galien, Pic de la Mirandole, Isidore de Séville, les Deux livres de Mercure Trismégiste Hermès dans la traduction de Gabriel Du Préau (Paris Estienne Groulleau, 1549 ; réédités en 1557), Les Chroniques du philosophe parisien Jean Carion (Paris, Estienne Groulleau, 1553), etc, et avec prédilection l'apologétiste chrétien Lactance.

Couillard déclare "approuver science si haulte que l'astrologie quand elle est accompaignee de philosophie" (f.A5v). Sur ce point, et le précédent (l'abus des prédictions), je renvoie à mon Manifeste pour l'astrologie" (CURA, 1999), et notamment au chapitre 13.
 

Les propos anti-calvinistes

Couillard joint à son texte diverses épigrammes de Clément Marot (qui signe de sa devise "La mort, n'y mord") et de son fils Michel Marot (qui signe "Triste & pensif" et qui s'adresse aussi à la reine de Navarre). Son amitié déclarée au poète défunt a été interprétée comme une adhésion implicite aux idées réformées (cf. par exemple la thèse de Denis Crouzet (1989), ou encore le petit opuscule d'un Hervé Drévillon et d'un Pierre Lagrange (Gallimard, 2003, p.32), lesquels se contentent de compiler ce qu'ils ont pu lire ici ou là). Il s'agit d'une interprétation à contresens. La mention du poète prestigieux n'est que l'occasion pour Couillard de prévenir les invectives d'intellectuels qui pourraient lui reprocher, à raison, la légèreté de son bagage culturel et de ses compétences. Plusieurs passages des Contredicts montrent l'auteur sur la défensive sur cette question, et l'on peut même estimer que le dit Couillard entretenait un certain complexe d'infériorité à cet égard.

Le traditionalisme catholique du Pavillonais est avéré dans ces propos plutôt engagés : "les hereticques ont voulu pulluler en la Chrestienté. (...) Ils font gloire de mourir en leur erreur, pour aller faire des miracles & estre canonisez à Genefve & enregistrez au cathalogue de leurs malheureux predicans" et "proffitent du sainct & sacré evangile, qu'ils veulent tordre & faire entendre à contreongle, soubs umbre d'une saincteté roillée & fardee" (f.+5r). Il ne s'agit pas des astrologues ou de Nostradamus, comme le voudrait Benazra qui s'égare sur cette question, mais bien des prédicateurs réformés. Et Couillard, qui décrit les méfaits de "leur libertine doctrine" (f.+5r), en appelle à la fin de son traité à "ceulx qui ont catholiquement esté instruicts en la tres salutaire loy divine et chrestienne" (f.O1v) : "O freres catholicques" (f.P3v). Il y a des accents et marques stylistiques qui ne trompent pas : aussi pourra-t-on estimer que la lecture des Contredicts par Crouzet (cf. infra), est pour le moins inquiétante : "une attaque très calvinienne dans sa tonalité de dérision, contre l'astrologie judiciaire" (p.141) !
 

La réfutation des thèses de Roussat

Une idée obsède le bon vivant et l'habitué des cabarets de la région, et cette idée seule l'aurait incité à rédiger son ouvrage : celle avancée par Pierre d'Ailly dans sa Concordantia astronomiae cum historica narratione (1490), par Pierre Turrel dans son Periode c'est a dire la fin du monde (c.1531), et reprise par Richard Roussat dans son Livre de l'estat et mutation des temps (1550), ouvrage mentionné en C5r, et selon lesquels le monde s'avance vers une transformation radicale qui aura lieu, d'après Roussat, en 1791.

Couillard reprend textuellement au folio A4r de son ouvrage un passage de Roussat : "la grande & merveilleuse conjonction que messieurs les Astrologues disent estre à venir environ les ans de nostre Seigneur mil sept cens octante & neuf avec dix revolutions Saturnales : & oultre, environ vingt cinq ans apres, sera la quatrieme & derniere station de l'altitudinaire Firmament." (Livre de l'estat, p.162), et ne cesse d'en rabâcher le thème :

Il reste en effet 236 ans en 1555 pour atteindre la date fatidique indiquée par Roussat. Déjà dans ses Prophéties de 1556, on pouvait lire : "des nouveaux livres prophetiques, qui nous menassent de mourir dans deux cens trente cinq ans." (f.G3v). C'est pour combattre cette idée apocalyptique qu'il accumule les chronologies bibliques : aux chapitres 10 du premier livre, 1 et 2 du livre 4, et encore 13 et 14 du même. Mais il ne pratique pas le latin ("je n'ay jamais estudié langue, autre que la maternelle", f.O1r), et a du mal à comprendre le français. En effet, Roussat n'annonce pas la fin du monde, mais "de tresgrandes, merveilleuses, & espouventables mutations & alterations seront en cestuy universel Monde : mesmement quant aux sectes & loyx." (Livre de l'estat, p.162). Et Pierre d'Ailly (1350-1420) écrivait en 1414 : "après dix révolutions saturnales viendra 1789 (...) Il y aura alors de grandes et nombreuses vicissitudes et des révolutions étonnantes, surtout dans les lois." (Concordantia, II 60).

Des révolutions dans les lois n'impliquent pas la fin du monde, et le témoignage de Couillard peut intéresser le sociologue de cette période, étudiant comment le lecteur moyen qu'était le sieur du Pavillon peut aussi aisément se faire piéger par un discours en apparence alarmiste comme celui de Roussat. Et a fortiori par les Prophéties de Nostradamus ! Le cycle des dix révolutions saturniennes, déjà mentionnées par l'astrologue arabe Albumasar, équivalent à une période de 295 ans (cf. mon article "Cyclologie astrale", CURA, 2003), généralement arrondie à 300 ans. On notera que Nostradamus qui s'appuie sur ce modèle, ne donne dans la seconde préface à ses Prophéties, ni la date de Pierre d'Ailly (1789), ni celle de Roussat (1791), mais l'année 1792 "que l'on cuydera estre une renovation de siecle" et qui correspond effectivement et au sens propre à la mutation des temps indiquée, puisque le calendrier républicain a été mis en place le 22 septembre 1792 à 9h18 au moment de l'équinoxe d'automne.
 

Et Nostradamus dans tout ce fatras ?

L'avènement du septième millénaire n'est pas seulement une fin, mais aussi un renouveau pour Nostradamus, et pour l'un de ses jeunes lecteurs, le poète Du Monin : "Ainsi sis mille ans aura vogue la mort du Monde, & au settieme l'immortalité printanera." (in L'Uranologie, Paris, Guillaume Julien, 1583, p.122r). Mais Couillard aura dédaigné s'attarder sur celui qu'il annonce combattre au titre de son ouvrage et dont il n'est presque pas question, mais qui lui permettra de multiplier ses ventes. Du moins aurait-il pu en 1559, après la parution du dernier pan des Prophéties en 1558, rajouter à son texte, rédigé en grande partie au second semestre de l'année 1555, quelques plus amples allusions à notre auteur. Mais elles sont fort rares, et se limitent à la première édition : "Dieu le createur a voulu reveler par imaginatifves impressions quelques secrets de l'advenir accordez à l'astrologie indicielle [sic]" (en I5v, paraphrasant la Préface à César, 11), "telles propheties escriptes en langage tenebreux & esloigné de toute intelligence humaine" (en I6v), "estans solitaires ils rendent leurs estudes nocturnes de souefve odeur" (en I7r, cf. Préface à César, 26). Peut-on ajouter : "Quant au Roy auquel par merite singulier telz escriptz sont souvent adressez" (en A5r) ? -- sachant que Nostradamus s'adresse par deux fois à Henry II : le 13 janvier 1556 dans Les Presages merveilleux pour l'an 1557, et le 27 juin 1558 dans la dernière édition de ses Prophéties.

Cette allusion à la témérité des astrologues à dédier leurs opuscules annuels au roi lui-même -- et bien qu'une bonne partie de cette littérature soit perdue, on ne connaît que Nostradamus qui l'ait osé ou qui y ait été autorisé --, est précédée du passage suivant : "Le sçavez vous bien, ô philosophes, astrologues ? Inserez-vous ceste verité divinement prononcee [Proverbes, 30] en vos fatalz pronosticqz par le moyen desquelz la pluspart (y adjoustans foy ou bien à choses escriptes soubz voile de parfaicte obscurité) ont par quelque crasse ignorance & temerité, une je ne sçay quelle opinion de laisser leurs negoces & traphicques esquels gist le bien, non seulement d'eulx : mais aussi de leurs successives genealogies." (ff.A4v-A5r). Ces mentions de généalogies successives et d' adresses au roi semblent, en raison de leur contiguïté, faire allusion à la Préface à Henry qui introduit la seconde partie des Prophéties, laquelle contient une double chronologie biblique aux pages 7 et 16 des éditions Rigaud de 1568. Autrement dit, on serait en présence de l'une des toutes premières attestations de la parution de la préface à Henri II avant 1560, et donc d'une confirmation de l'impression de 1558, date à laquelle cette préface lui est adressée, un an avant son tragique décès.

Assez maigre récolte, quand on sait que le seul intérêt de ces écrits et pamphlets réside dans le témoignage qu'ils peuvent éventuellement apporter concernant les oeuvres de Nostradamus, dont beaucoup ont malheureusement disparu malgré leur immense diffusion. Le chapitre 4 du second livre ("De ce que les philosophes & pronosticques doibvent user en leurs pronostications") est probablement le plus intéressant pour notre propos, non seulement parce qu'il décrit et parodie le contenu d'un almanach (et qu'on retrouve ainsi le meilleur Couillard, le pasticheur), mais aussi parce que les sentences courtes qu'il énumère pour les railler pourraient être prises à une publication de Nostradamus, peut-être au calendrier des premiers almanachs, pour l'an 1553 ou pour l'an 1554. Quelques unes figurent dans l'Almanach pour l'an 1557 : Monstre nay (au 25 janvier), Prelature vacante (au 22 février), Mutation de temps (au 11 mars) ; mais ce n'est pas ce texte qui inspire le pasticheur.
 
 
Couillard, Contredicts, Charles l'Angelier, 1560, f.D2v Couillard, Contredicts, Charles l'Angelier, 1560, f.D3r Couillard, Contredicts, Charles l'Angelier, 1560, f.D3v

 

Annexe : Les études couillardiennes

Couillard ne s'intéresse pas à Nostradamus dans ce texte écrit en grande partie avant sa découverte des Prophéties de Nostradamus courant novembre 1555 (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 49) : mais qui se soucie de Couillard ? Bareste un peu. Buget (qui orthographie "Couillart" comme Brind'Amour, sans prendre garde à son anagramme !) très peu : "Couillart ne vise peut-être qu'à se signaler, en attaquant le héros du jour." (p.94) -- sauf que Nostradamus n'est pas directement visé par le contenu de cet ouvrage, et que son étoile a quelque peu pâli en 1560, même s'il est probable qu'il soit resté le "héros du jour".

Les opuscules de Couillard n'ont fait l'objet de quelques brèves études qu'à la fin des années 80 : Millet en 1987 et Crouzet dans sa thèse de 1989. Ajoutons quelques pages de Brind'Amour (1993) et l'article de Benazra publié sur son site et au CURA en 2003. Aucun de ces textes ne traite exclusivement de notre auteur : aussi n'est-ce qu'accessoirement et faute d'analyses spécifiques et plus étoffées qu'elles doivent être répertoriées parmi les études couillardiennes.
 

Olivier Millet : "Feux croisés sur Nostradamus au XVIe siècle" (1987)

Ces "feux croisés" se contentent de reprendre les quelques ouvrages déjà signalés et étudiés par Buget en 1861 (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 23). L'auteur a du mal avec les dates : les Prophéties de Nostradamus auraient été publiées en mars 1555 [sic], et la dédicace de Couillard daterait du 1er janvier 1561 [sic] ! Autrement dit l'imprimeur aurait attendu plus d'un an après le permis d'imprimer délivré par le parlement de Paris pour publier un ouvrage qu'il aurait antidaté d'une année, et auquel aurait été rajoutée une préface non examinée par les autorités ! Millet n'a pas l'air de s'apercevoir que dater un texte du 1er janvier n'est pas tout à fait innocent, surtout quand ce texte précise que le calendrier romain commençait précisément à cette date.

Sur le fond, Millet s'intéresse davantage à la question religieuse et au "traditionalisme éclairé de Couillard" (p.121), qu'à la problématique astrologique et eschatologique présente dans ses ouvrages. Son analyse évacue le motif du discours de Couillard, à savoir son combat crispé contre le discours des astrologues, et en particulier contre celui de Roussat, curieusement absent de l'exposé de Millet mais que Couillard considère, à juste titre, au moment de la publication de ses Contredicts, comme le dangereux précurseur de Nostradamus.
 

Denis Crouzet : Les guerriers de Dieu (1990)

L'auteur, qui fait l'impasse sur les Prophéties de Couillard, reprend à Millet la date de publication hasardeuse de la publication des Contredicts fin 1560 (!) ou début 1561 (p.141). Denis Crouzet ne s'intéresse ni à Couillard, ni à Nostradamus, mais à sa propre idée fixe d'une production astrologique au service de l'orthodoxie catholique et entretenant un climat d'angoisse et de terreur. Sous un style parfois brillant, l'auteur convie ses lecteurs destinés, à savoir des universitaires qui n'ont pas la moindre idée de l'histoire de l'astrologie ni des écrits de Nostradamus, à adhérer à une série de positions de principe dualistes et d'allégations supportées par un petit nombre de documents sélectionnés, à savoir : l'assimilation de l'astrologie dans son ensemble à la littérature des almanachs, l'identification des pratiques astrologiques à des prédictions uniquement destinées à favoriser un climat d'angoisse, l'affirmation que l'astrologie et la prédiction eschatologique sont acceptées et favorisées par les autorités catholiques, l'assimilation des Prophéties de Nostradamus à ce courant, et enfin l'affirmation que le protestantisme calvinien serait libérateur par nature de l'angoisse eschatologique résultant de tout ce courant.

L'antinomie entre Astrologie et Réforme ne fait sens que dans l'espace culturel francophone occupé par les directives et mots d'ordre calviniens. Crouzet veut ignorer la nature du dogmatisme calvinien qu'il interprète comme "une véritable révolution culturelle" dans ses rapports à l'astrologie (p.151 !) alors qu'il ne résulte que des prédispositions idéologiques et étatiques de la pensée française et à sa tradition pré-voltairienne des faiseurs d'almanachs satiristes ; il veut ignorer l'immense littérature pro-astrologique développée outre-Rhin autour de Melanchthon, ainsi que les relations suivies de Nostradamus avec les astrologues et sympathisants luthériens allemands. Les Français sont en effet les champions du monde des "révolutions culturelles" ou plutôt de l'illusion de supposées révolutions susceptibles de les libérer de tout et de les attacher à une pseudo-liberté, à un pseudo-libre-arbitre qui les enchaînent inéluctablement à un degré de conscience d'eux-mêmes dont on ne se libère plus. A l'appui de sa thèse, Crouzet met en avant le caractère novateur du traité de Calvin, l'Avertissement contre l'astrologie (1549), un écrit banal qui se distingue peu des textes anti-astrologiques similaires produits dans les milieux catholiques à la même époque. L'argumentation calvinienne serait même en retrait par rapport à celles de Pico, d'Augustin et déjà de Carnéade (cf. mon Manifeste pour l'Astrologie, 10 (CURA, 1999).

Notons encore que Couillard est présenté comme participant aux côtés de Calvin à "une véritable machine de guerre (..) à l'assaut d'une culture qui est incarnée par Nostradamus" (p.142). Cette machine n'existe que dans le cerveau de celui qui l'imagine, surtout quand on ne veut pas lire le texte (cf. supra : Les propos anti-calvinistes de Couillard). Cette interprétation hasardeuse d'un Couillard calviniste, recopiée par d'autres (par exemple dans un article de Danielle Le Prado-Madaule en 1996 ou par H. Drévillon dans Historia en 2004 puis dans un article bâclé de 2006 signalé au CN 59), est abandonnée dans son ouvrage de 2010 : Crouzet aura parcouru quelques pages du Corpus Nostradamus, cité ici et là mais rarement à bon escient ! La quarantaine de pages relatives à l'astrologie, Roussat et Nostradamus, superficiellement étudiés, recèlent un amoncellement d'erreurs et de contre-vérités le conduisant à des généralisations, voire à transformer ses conclusions hâtives sur l'eschatologie renaissante, en une ethno-sociologie primaire de l'astrologie actuelle, qui serait "une culture collective qui fait vivre ceux qui la reçoivent dans une civilisation de l'angoisse" (p.142) dont on ne se libèrerait que par la culture évangélique réformée. Une thèse absurde pour les astronomes-astrologues mélanchtoniens, voire pour l'anti-astrologie commune représentée par le traité de 1549, lequel ne diffère en rien d'écrits similaires produits par les catholiques. Le pauvre Nostradamus incarnerait cette vision angoissée et panique du monde, lui qui n'aura réussi qu'à y plonger eux-mêmes ses détracteurs d'hier et d'aujourd'hui !
 

Pierre Brind'Amour : Nostradamus astrophile (1993)

Brind'Amour, qui a recherché les "allusions aux Centuries du vivant de Nostradamus" (p.58) et cité plusieurs emprunts de Couillard, a malheureusement manqué les "trois ou quatre cens carmes" de la première édition, ainsi que l'allusion de Claude Haton à l'édition de 1558 (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 11) -- comme quoi les textes les moins méconnus contiennent parfois des perles, à condition toutefois qu'on sache les décrypter.
 

Robert Benazra : "Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus" (Ramkat et CURA, 2003)

L'article entend répondre à la récente suspicion relative à la parution des Prophéties dans les années 50, et par suite de "retrouver simplement l'empreinte nostradamienne dans les écrits du Seigneur du Pavillon lez Lorriz". La démonstration a été faite, mais malheureusement l'argument décisif et difficilement réfutable des "trois ou quatre cens carmes de diverses tenebrositez" n'a pas été entendu par ceux auxquels il était destiné : il n'y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dira-t-on.

Concernant les Propheties de Couillard, je ne suivrai pas Benazra sur les détails mentionnés dans ses deux derniers paragraphes. Il me paraît improbable que Nostradamus ait entrepris de composer sa "miliade" de quatrains après avoir lu un Couillard s'amusant à évoquer "un millier de ses autres folies" ou "un millier de resveries", parce que la distribution des quatrains en plusieurs éditions successives est un projet délibéré et que le nombre de ces quatrains répartis entre les différentes éditions est calqué sur les nombres de Roussat (cf. mon article "Les Nombres du Testament comme fils d'Ariane au Corpus nostradamique", CURA, 2002). Le second point concerne la lecture du passage suivant : "declarons toutes leursdictes prognostications, almanachz, & propheties apres un an abusifves, & non valables" (f.G2r). On ne lira pas avec Benazra, piégé par les finesses de son adversaire : "propheties_apres_un_an abusifves", mais "propheties apres_un_an_abusifves", autrement dit la virgule virtuelle est à placer après "propheties", et non après "an". Le terme "propheties" n'est pas à prendre ici au pied de la lettre, et Couillard ne fait qu'affirmer que les publications annuelles des astrologues s'avèrent toutes caduques en fin d'année. Par ailleurs il ne sait pas au moment où il rédige sa parodie si les Prophéties de Nostradamus ne sont pas destinées à devenir un genre nouveau de publication annuelle.

L'analyse des Contredicts est plus embrouillée. Il n'est pas certain que Couillard ait repris des citations bibliques trouvées chez Nostradamus, car il n'entendait que passablement le latin. En outre leur large diffusion interdit d'y lire un emprunt. Plus surprenante est l'affirmation de Benazra concernant cette fois de supposés emprunts de Nostradamus à Couillard (ses chronologies bibliques, l'expression "instinct naturel" en F6v, les citations de Roussat) : en effet la Préface à Henry est parue en 1558, c'est-à-dire deux ans avant le texte de Couillard, comme Benazra a tendance à l'admettre dans d'autres textes. En revanche l'expression mentionnée convient assez bien au tempérament de Couillard, et l'objet même de son discours nécessite la discussion de Roussat et des historiographes : autrement dit, je ne crois pas non plus que le sieur du Pavillon ait emprunté ces éléments à Nostradamus. A force de trouver des emprunts partout, on finit par s'égarer dans la confusion.

Signalons encore que Benazra interprète les propos de Couillard, hostiles aux calvinistes dans sa préface adressée à François Le Cirier, comme se rapportant aussi aux astrologues et à Nostradamus : "Ainsi, pour Couillard, Nostradamus se situerait du côté des disciples de Luther et Calvin !" Il s'agit là d'un contresens, inverse de celui de Crouzet, qui prétend que le sympathisant calviniste Couillard percevait les Prophéties de Nostradamus comme un texte favorable aux catholiques. Décidément, le lecteur moderne a bien du mal à lire dans le jeu de miroirs agencé par les écrits de cette époque, et à s'empêcher d'y projeter ses ombres.
 
 
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Patrice Guinard: Antoine Couillard et la fin
des temps annoncée par les astrologues

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16-02-2007 ; last updated 19-02-2019
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