Nostradamica

CORPUS NOSTRADAMUS 84 -- par Patrice Guinard
 

Nostradamus connaissait-il les planètes trans-saturniennes ?
 

Ce texte, dédié à Vlaicu Ionescu, est paru le 17 mai 2000 au CURA, le premier consacré à Nostradamus, puis dans une version légèrement écourtée dans la revue Atlantis (n° 404, 1er trimestre 2001, p.63-71). Traduit en espagnol ("¿Nostradamus conocía los planetas transaturninos?", 2001), en anglais ("Did Nostradamus know the Transaturnian Planets?", 2003), en finnois par Marita Hölttä ("Tunsiko Nostradamus transsaturniset planeetat?", 2004) et en russe ("Нострадамус,знал ли он транс-сатурнические планеты?", 2005), il rejoint le Corpus Nostradamus en janvier 2008.
 

Depuis 1984, et approximativement tous les 3 ans, quelques ouvrages essentiels sont venus métamorphoser la connaissance jusque là très parcellaire qu'on pouvait se forger sur l'oeuvre du prophète de Salon. Citons pour mémoire la réédition en fac-similé, par Robert Benazra, des Propheties (Lyon 1555) d'après l'exemplaire d'Albi et avec quelques variantes de l'exemplaire de Vienne en Autriche (Lyon, Les Amis de Michel Nostradamus, 1984), la Bibliographie Nostradamus XVIè-XVIIè-XVIIIè siècles de Michel Chomarat (Baden-Baden, Valentin Koerner, 1989) puis celle de Robert Benazra, le Répertoire chronologique nostradamique (Paris, La Grande Conjonction, 1990), la réédition en fac-similé, d'après l'exemplaire de la bibliothèque Széchényl de Budapest, par Michel Chomarat, de l'édition de 1557 des Prophéties (Lyon, 1993), l'ouvrage de Pierre Brind'Amour (1941-1995), Nostradamus astrophile (Presses de l'Université d'Ottawa (Can.) & Paris, Klincksieck, 1993), suivi de l'édition critique de la première partie des quatrains, par le même auteur, Nostradamus. Les premières Centuries ou Propheties (Genève, Droz, 1996), et surtout la récente édition du Recueil des Presages prosaiques (BM Lyon, ms 6852) du secrétaire de Nostradamus, Jean-Aimé de Chavigny, par Bernard Chevignard, les Présages de Nostradamus (Paris, Le Seuil, 1999).

Ces ouvrages ont tendance à laisser dans l'ombre les deux tentatives les plus originales d'élucidation du corpus nostradamique : celles du péruvien Daniel Ruzo (1900-1991) et du roumain Vlaicu Ionescu (1922-2002), le premier ayant travaillé sur le décryptage de l'ordre des quatrains et montré en 1975 que le testament laissé par Nostradamus faisait partie intégrante du corpus prophétique (in Le testament de Nostradamus, trad. fr., Monaco, Le Rocher, 1982), le second ayant avancé dans divers ouvrages des interprétations judicieuses qui laissent bien en retrait, par leur précision, les amateurs de prédictions astrologiques. Ionescu titre l'un des chapitres de son premier ouvrage : "1991, l'année de l'écroulement du régime soviétique", avant de préciser : "Cela devra se passer en Juin 1991." (in Le message de Nostradamus sur l'ère prolétaire, Paris, Dervy, 1976, p.777-778). Le 12 juin 1991, Boris Eltsine était élu au suffrage universel à la présidence de la Fédération de Russie, avant que l'U.R.S.S. ne se désagrège quelques mois plus tard.

Les deux livres des Prophéties sont divisés en 7 et 3 centuries, comme les planètes du système solaire au sens astrologique : les 7 planètes du Septénaire classique incluant la Lune, et les 3 planètes extra-saturniennes, Uranus, Neptune et Pluton, auxquelles Nostradamus consacrera à chacune un quatrain. Dans un article essentiel ("Nostradamus et les planètes trans-saturniennes", in Atlantis 325, 1983, p.205-241), Ionescu avance l'idée que Nostradamus ferait référence à la découverte des 3 planètes trans-saturniennes dans les quatrains VIII 69, IV 33 et I 84.
 

Le quatrain VIII 69 : la découverte d'Uranus

Sur ce quatrain, cf. aussi mon Nostradamus ou l'Éclat des Empires (Paris, 2011, p.114-116).

Aupres du jeune le vieux ange baisser,
Et le viendra surmonter à la fin
Dix ans esgaux au plus vieux rabaisser,
De trois deux l'un l'huitiesme seraphin.

Réf. : Les Propheties, Lyon, Benoist Rigaud, 1568 (BM Grasse : Rés. 12597)

Le thème de la découverte d'Uranus est dressé pour le 13 mars 1781, Bath, 21h10. Position des planètes concernées par le quatrain : Uranus : 84° 27, Mars 263° 23, Saturne 259° 42
 
Découverte d'Uranus


L'interprétation de ce quatrain, comme des suivants, s'appuie sur un double plan de référence, étroitement imbriqués : le plan mythologique et le plan astronomique (cf. Ionescu, p.212, p.214...)

Aupres du jeune le vieux ange baisser,
Et le viendra surmonter à la fin

Le vieux dieu Ouranos (vieux ange), le ciel étoilé, rabaissé (baisser) par son fils Saturne (le Kronos grec), le plus jeune d'entre les Titans (le jeune), qui le mutile et lui ravit son trône (et astronomiquement Saturne est la dernière planète du Septénaire, celle qui occupe la "septième sphère"), reprendra finalement ses droits lors de la découverte de la planète à laquelle les astronomes donneront son nom (Et le viendra surmonter à la fin).

Dix ans esgaux au plus vieux rabaisser,
De trois deux l'un l'huitiesme seraphin.

En diminuant (rabaisser) la valeur de 10 "ans" (10 cycles) saturniens, le plus long cycle planétaire jusqu'alors connu (Dix ans esgaux au plus vieux), - qui est aussi le fameux cycle mentionné par Albumasar, et au terme duquel Pierre d'Ailly a prédit l'avènement de l'Antéchrist - , soit environ 295 années solaires, c'est-à-dire en intervertissant les deuxième et troisième chiffres (De trois deux) du nombre total de l'ensemble du cycle (l'un), on obtient 259, qui est la position écliptique approximative de Saturne (259°), et on peut observer que la position écliptique de la nouvelle planète, Uranus (l'huitiesme seraphin), à 84°, a un nombre égal (l'un) à la durée de son cycle, soit 84 ans.

J'ajoute qu'en astrologie, Uranus étant la planète de l'unification (cf. thesis meae sequentiam), ce terme, l'un, revêt dans le quatrain une importance particulière. Toute la polysémie du quatrain y aboutit, et Ionescu l'a quelque peu escamoté, puisqu'il se réfère pour son texte à une édition postérieure, qui l'incite à interpréter dans sa globalité l'expression "l'un huitiesme seraphin", et non à séparer l'un de l'huitiesme seraphin. En revanche, Ionescu montre avec pertinence (p.218) que l'axe Uranus-Mars sépare la configuration planétaire en 2 groupes de planètes, laquelle représente l'emblème qui sera attribué à Uranus.

En outre, les premiers et le dernier termes du quatrain, Aupres du et seraphin contiennent l'anagramme suivante : Uranus de phi pares, c'est-à-dire "Uranus, tu te montres à travers (le nombre) Phi" ou "Uranus, tu te soumets (ou tu obéis) au nombre Phi". La révolution sidérale d'Uranus (84 ans) vaut 52 fois le nombre phi (approximation 0.15%), ou encore, cette fois exprimée en jours, 19 000 fois le nombre phi (approximation 0.19%).
 

Le quatrain IV 33 : la découverte de Neptune

Iuppiter joint plus Venus qu'à la Lune
Apparoissant de plenitude blanche:
Venus cachée soubs la blancheur Neptune,
De Mars frappé par la granée branche.

Réf : Les premières éditions ne s'accordent pas pour le 4ème vers : le texte de 1555 donne "De Mars frappé par la granée branche", mais les éditions de 1557 donnent "frappée" et suppriment la virgule après "Neptune".

Paradoxalement, ce quatrain qui mentionne explicitement le nom de Neptune, reste énigmatique, puisqu'il se rapporte à une date de découverte, qui n'est pas celle généralement admise. Le thème de la découverte de Neptune est dressé pour le 8 août 1846, observatoire de Cambridge, vers minuit (0h10), à une date, choisie par Ionescu (et qui l'aurait été par Nostradamus), intermédiaire entre les 4 et 12 août 1846, jours où la planète a été observée, à deux reprises donc, par l'astronome anglais James Challis (selon Nigel Calder, The comet is coming, New York, The Viking Press, 1980 ; cité par Ionescu). Pour ce quatrain et le rapport à Challis, Ionescu s'inspire de Centurio qui dresse le thème pour le 7 août 1846 avec Neptune et la Lune au MC (in Nostradamus. Der Prophet der Weltgeschichte, 1953 ; 1955, p.94). Le Révérend James Challis, directeur de l'observatoire de Cambridge, dans une lettre datée du 15 octobre 1846 au journal The Athenaeum (cf. le numéro 990 du journal, en date du 17 octobre, p. 1069), déclare avoir observé la planète Neptune (dont il suggère le nom "Oceanus") les 4 et 12 août 1846, soit quelques jours après le début de ses recherches. Il ajoute ne pas avoir alerté la communauté scientifique car il estimait que de plus amples vérifications s'avéraient nécessaires : "I had an impression that a much more extensive search was required to give any probability of discovery." (cf. les "Selected excerpts of correspondence, concerning the discovery of Neptune" à la page http://www.dioi.org/kn/neptune/corr.htm). A cette date, symbolique, la planète, conjointe à la Lune, est dans son état d'occultation. En outre l'écheveau de circonstances particulièrement troublantes qui accompagne sa découverte s'accorde assez bien au caractère astrologique de la planète, et le dossier contenant la correspondance entre George Airy et John Adams (et qui pourrait renseigner sur le rôle de James Challis dans la découverte de Neptune) aurait disparu des archives de l'observatoire de Greenwich.

Position des planètes concernées par le quatrain : Jupiter 71° 33, Vénus 102° 43, Mars 145° 59, Lune 325° 43, Neptune 327° 05
 
Découverte de Neptune


Le quatrain décrit le thème dressé à la date symbolique de la découverte de Neptune : 106° séparent Jupiter de la Lune, mais seulement 31° de Vénus (Iuppiter joint plus Venus qu'à la Lune) ; c'est la pleine lune (Apparoissant de plenitude blanche) ; Vénus est sous l'horizon (Venus cachée) ; Neptune, dont le nom est mentionné, est conjointe à la Lune qui l'occulte (soubs la blancheur Neptune) ; Mars est opposé à Neptune (Neptune, De Mars frappé par la granée branche).

A noter que Ionescu, qui utilise une édition tardive, probablement tronquée, interprète l'expression gravée blanche. Or le terme latin granatus (grenu, abondant en grains, au grain apparent) pourrait justement se rapporter à la Voie lactée, à laquelle, selon lui (cf. p.224), Nostradamus fait référence dans ce quatrain. Quant au terme branche, et non blanche, il semble se rapporter au trident qui est l'attribut de Neptune. En effet, le thème présente un double trident : Saturne-Neptune-Lune et Mercure-Mars-Soleil, qui illustre deux fois l'emblème qui sera attribué à Neptune. Le quatrième vers peut donc s'interpréter comme suit : Mars et Neptune, en opposition, (Neptune, De Mars frappé) s'accablent mutuellement (Neptune, De Mars frappé(e) et Mars frappé par), à l'aide d'une fourche (branche), traversée par la Voie lactée (granée branche). Ce quatrain semble donc construit sur le thème de la dualité : double mention de la blancheur (celle de la Lune, pleine, et celle de la Voie lactée), double mention de Vénus (la planète double, de la dissociation (cf. thesis meae sequentiam), dont les astrologues considèrent Neptune comme l'octave supérieure), double trident.

L'insistance sur Jupiter et Vénus reste cependant quelque peu problématique, puisque les deux planètes n'appartiennent pas à la configuration en double-trident, même si l'astrologue peut aisément comprendre que la nouvelle planète rassemble en quelque sorte les caractères de l'une et de l'autre. Le premier vers, Iuppiter joint plus Venus qu'à la Lune, outre son sens mythologique trivial (Vénus/Aphrodite reste dans l'entourage immédiat de Jupiter/Zeus, ce qui n'est pas le cas de Diane/Artémis), fait apparaître dans les lettres composant les 3 planètes, le nom latin du dieu Neptunus. Mais Iuppiter et Venus ont chacun 4 lettres en commun avec Neptunus, tandis que la Lune n'en a que 3.

Ionescu (p.225) relie le cycle neptunien à la position de Vénus et au nombre PHI : 164.79 = 1.618034 fois 102.72 (approximation : 0.86%). En outre, Iuppiter, avec ses deux p, contient 8 lettres, et Venus en contient 5, ce qui marque une nouvelle fois la proportion du nombre d'or. De même que 12 mois (lunaires) s'inscrivent dans une année solaire, 12 fois phi mois vénusiens s'inscrivent dans une année jupitérienne : 12 x 1.618034 x 0.615 = 11.94 ~ 11.86 (approximation : 0.67%). Ce qui résout cette fois complètement l'énigme inscrite dans le premier vers.

L'interprétation sceptique des quatrains de Nostradamus est généralement un véritable fiasco, par exemple celle de Pierre Brind'Amour (1996, p.513) pour le quatrain neptunien : "Jupiter (l'étain), joint plus à Vénus (au cuivre) qu'à la Lune (qu'à l'argent), apparaîtra doté de plénitude blanche ; Vénus (le cuivre), cachée sous la blancheur de Neptune (de l'eau), sera frappée par la branche alourdie de Mars (par le pilon armé de fer). (...) Un alliage d'étain et de cuivre se forme au cours d'une opération alchimique ; il est ensuite refroidi dans l'eau, puis pulvérisé au moyen d'un pilon de fer." !
 

Le quatrain I 84 : la découverte de Pluton

Lune obscurcie aux profondes tenebres,
Son frere pasle de couleur ferrugine:
Le grand caché long temps sous les latebres,
Tiedera fer dans la playe sanguine.

Réf : Les Propheties (Lyon, 1555, exemplaire de Vienne en Autriche). Variantes de l'exemplaire d'Albi : Son frere "passe" ; "plaie"

Le thème de la découverte de Pluton est dressé pour le 23 janvier 1930, Lowell Observatory de Flagstaff (Arizona), 21h. Position des planètes concernées par le quatrain : Lune 242° 04, Soleil 303° 27, Mars 289° 31, Pluton 108° 14
 
Découverte de Pluton


Les deux premiers vers s'inspirent directement des épigrammes d'Ulrich von Hutten, et non des Géorgiques de Virgile comme le suppose Brind'Amour (1996, p.165) : "Bis petit obscurum et condit se Luna tenebris // Ipse quoque obducta pallet ferrugine frater." ("Par deux fois la lune cherche à atteindre l'obscurité en se cachant dans les ténèbres, et son frère lui-même pâlit, assombri de couleur ferrugineuse", in Poemata, éd. Böcking, p.253 ; cf. CN 47, fév. 2007).

Mais l'ensemble du quatrain décrit le thème dressé pour le 23 janvier 1930, date des premières prises photographiques effectuées par Clyde Tombaugh : la Lune est sous l'horizon au FC (Lune obscurcie aux profondes tenebres) ; le Soleil (Apollon, qui personnifie le Soleil, est le frère jumeau d'Artémis, laquelle personnifie la Lune) a dépassé Mars, la planète rouge associée au fer, depuis 14 jours (Son frere pasle de couleur ferrugine) ; Pluton longtemps invisible (Le grand caché long temps sous les latebres) est en opposition à Mars (Tiedera fer dans la playe sanguine).

Ionescu souligne qu'aux dates de leurs découvertes respectives, Mars était en opposition à chacune des planètes concernées (p.212), ce qui corrobore la signification astrologique de Mars, le déclencheur, l'éveilleur des tensions. Par ailleurs, et comme pour les deux thèmes précédents, la configuration du thème illustre l'emblème qui sera attribué à la planète, avec son point d'ancrage, formé par un amas de 5 planètes, ses deux branches, en direction de Neptune et de Jupiter, sa barre transversale, légèrement penchée (Lune et Uranus), et Pluton, la planète invisible. A noter qu'en ajoutant les positions écliptiques de la Lune (242°) et d'Uranus (8°), on obtient la durée approximative de la révolution sidérale de Pluton. En revanche, et comme le remarque Ionescu (p.237), la position écliptique de Pluton, 108°, vaut 9 fois 12 (mois) solaires et 4 fois 27 (jours) lunaires, ce qui semble justifier le choix des luminaires. J'ajoute que l'équation 9 x 4 = 108 / 3 corrobore l'idée de triplicité qui enveloppe ce quatrain.

L'amas planétaire Mars-Vénus-Mercure-Soleil évolue en direction d'Uranus, d'où l'anagramme du second vers (que je donne comme une curiosité) : Son coeur (celui du Soleil) l'espère : figer Uranus de fer. Le terme latin latebra signifie "abri, cachette", et le terme grec Aïdès/aïdès désigne à la fois le dieu des Enfers, Aïdès (qui deviendra Hadès), et la qualité de rester invisible, aïdès. Ionescu observe que tiedera est l'anagramme de tri - aïdé, ce qui pourrait souligner la triple opposition de Pluton, à Mars, à Saturne, et au groupe Soleil-Mercure-Vénus, mais aussi, bien sûr, le fait que Pluton est 3 fois caché : une fois comme planète invisible (beaucoup plus petite que Neptune et Uranus), une fois dans l'emblème qui la représente, et une fois par son nom (cf. infra).

Reste le problème du grand caché : pourquoi cet attribut, alors que Pluton est une planète minuscule ? Aux quatrains II 59, II 78, III 1 et au présage pour mai 1559, il est question du grand Neptune, ce qui suggère que cette planète, et non Pluton, est le protagoniste des deux derniers vers : Neptune, longtemps invisible, en position dominante à l'Ascendant et en trigone de Saturne, tempèrera (tiedera) la dissonance de Mars (fer) au sein de l'amas planétaire en Capricorne-Verseau (dans la playe sanguine). Cette interprétation renforce le statut de Pluton comme planète cachée, puisque, dès lors, elle n'apparaît plus même parmi les protagonistes du quatrain qui lui est consacré. Il existe cependant une autre interprétation consistant à considérer cette fois caché, et non plus grand, comme le substantif auquel se rapporte l'adjectif grand. Ce qui ramène à l'interprétation initiale, mais aussi suggère que Pluton, le grandement caché, trois fois invisible, pourrait désormais occuper les fonctions du "trois fois grand", Hermès, et donner ainsi naissance à un nouvel hermétisme, celui précisément initié par le devin de Salon.

Comme le premier quatrain, relatif à la première planète trans-saturnienne, était commandé par l'unité, et comme le second, relatif à la seconde trans-saturnienne, l'était par la dualité, le troisième, relatif à la troisième trans-saturnienne l'est par la triplicité. Ionescu qui observe (p.234) que le mot playe commence par les deux premières lettres de Pluton (qui sont aussi les initiales de l'observatoire où la planète fut découverte, Percival Lowell), ne remarque pas que les premières lettres des mots du premier vers (3 pour la planète qui introduit le vers, et 3 pour les autres termes, si l'on omet la préposition, inexistante en latin) forment une anagramme de Pluton : LUNe Obscurcie aux Profondes Tenebres = PLUTON. Nouvelle coïncidence, dira le sceptique, que j'invite à vérifier s'il existe dans l'ensemble du corpus un autre vers qui vérifie ces conditions.

 

Démonstration more arithmetico du bien-fondé de l'interprétation de Vlaicu Ionescu

"Les trois quatrains forment une unité et n'importe quelle voie indiquée pour l'un d'eux est en même temps une invitation implicite pour suivre cette voie en ce qui concerne les autres." (Ionescu, p.225)

Dans L'Énéide (10.175-177) de Virgile, il est question d'un devin, haruspice et astrologue, du nom d'Asilas : "le fameux interprète des hommes et des dieux, à qui obéissent (et se révèlent) les entrailles des animaux, les astres du ciel, les langues des oiseaux et les feux prophétiques de la foudre." Ce devin mythique est l'ancêtre du prophète de Salon, puisque, à lui aussi se sont révélés les trois astres du ciel jusqu'alors inconnus. Les deux premiers vers des trois quatrains forment un acrostiche à peine voilé : A E I A L S, soit Asilae, "à Asilas", à qui ce groupe de quatrains est dédié.

Les noms des 3 planètes trans-saturniennes apparaissent dans les quatrains qui leur sont consacrés : celui de Neptune est explicite, ceux de Pluton et d'Uranus apparaissent sous forme codée. L'attribution des noms des 3 trans-saturniennes par les astronomes a connu une histoire tout-à-fait rocambolesque, et les fonctions des dieux mythologiques coïncident étroitement avec les significations qui seront ultérieurement attribuées aux planètes par les astrologues. Il est tout aussi remarquable que les emblèmes qui désormais représentent ces planètes ont une très curieuse ressemblance avec les figures thématiques dressées aux moments respectifs de leur découverte, coïncidence qui semble ne pas avoir échappé à l'auteur des Centuries.

Le quatrain I 84 (consacré à Pluton) indique clairement la durée du cycle uranien (84 ans), mais aussi le fait que Pluton a été découvert 84 ans après Neptune. (Et curieusement Neptune a été découvert 65 ans après Uranus, et Pluton 149 ans après Uranus!)

Le quatrain IV 33 (= 333) indique les périodes des deux autres planètes, et souligne leurs harmonies : en effet 333 = 84 (Uranus) + 249 (Pluton) = 165 (Neptune) + 2 x 84 (Uranus). L'équation des périodes sidérales (Uranus + Neptune = Pluton) est remarquable, puisque l'approximation est inférieure à 0.1%. Le nombre 333 vaut aussi approximativement 2 fois la période neptunienne (à 1.04% près), ce qui est corroboré par le fait que le quatrain semble régi par la dualité, comme je l'ai montré précédemment.

Enfin le quatrain VIII 69 (= 769), consacré à Uranus, indique la durée du cycle plutonien (249 ans), comme le quatrain I 84, consacré à Pluton, indiquait celle du cycle uranien. En effet 769 = 249 (Pluton) + 520 (ou encore 84 (Uranus) + 165 (Neptune) + 520), ce dernier nombre, 520, n'étant autre que la somme des positions écliptiques des 3 planètes lors de leur découverte : 84° 27 + 327° 05 + 108° 14 = 519° 46, arrondi à 520°.

Les lettres initiales des deux premiers vers des trois quatrains consacrés aux trans-saturniennes forment l'acrostiche A S I L A E, "à Asilas", devin et voyant qui est le troisième des quatre chefs de guerre étrusques rejoignant les troupes d'Énée. Le vers 175 du Xe chant de Virgile commence par Tertius < ille hominum divumque interpres Asilas >. Or le dernier vers du troisième quatrain de Nostradamus, celui consacré à Pluton, commence par un T, comme Trois (quatrains), comme Troisième (chef de guerre, chez Virgile), comme Tyrrhéniens ou encore Toscans, ainsi nommés par Virgile pour désigner les Étrusques. Et en additionnant la valeur numérique (chiffres romains) des autres lettres choisies par Nostradamus pour introduire les vers restants, soit D D V D L, on obtient la date de la première édition des Prophéties, à savoir 1555 ... Ainsi donc peut se lire l'acrostiche latin crypté par Nostradamus : "<En hommage> à Asilas <le> T<oscan>, 1555".

Ainsi l'interprétation de l'ensemble de ces 3 quatrains montre que Nostradamus connaissait les noms des 3 trans-saturniennes, la durée de leurs périodes sidérales, et leurs positions écliptiques respectives aux jours de leur découverte. C.Q.F.D.

 

Épilogue

Baruch de Spinoza, le philosophe immoraliste, athée, généreux, est excommunié en 1656 par la communauté juive d'Amsterdam. Peu lui importait, pourvu qu'on le laisse écrire, vivre sa philosophie, dressée à l'image de son être : affaire vitale qui consiste à échapper aux tyrans et aux prêtres, comme à la servitude volontaire. "Car Spinoza fait partie des vivants-voyants. (…) Spinoza ne croyait pas dans l'espoir ni même dans le courage ; il ne croyait que dans la joie, et dans la vision." (Gilles Deleuze, Spinoza, Paris, P.U.F., 1970, p.20)

Mieux vaut obéir aux astres, et savoir les limites réelles de son pouvoir propre dans le monde, que de se retrouver floué et retroussé par l'agitation sordide d'une machine qui roule dans le néant et qui mène ses techniciens, politiciens et financiers droit dans le mur. Les certitudes et les vraisemblances des spécialistes autorisés sont des viatiques qui donnent le change à la déraison et à la torpeur devant l'inconnu. Les pouvoirs, petits et grands, étatiques ou sociaux, économiques et culturels, extérieurs ou intérieurs, ces petits tyrans qui asservissent la conscience, se nourrissent du sentiment imbécile du libre-arbitre de chacun, de la crainte d'en perdre l'illusion, et de l'ignorance générale quant à la nature du Réel.

Si Nostradamus a vu l'événement futur briller dans la flamme, s'il l'a transcrit dans un style qui relègue les textes surréalistes au rang de simples exercices de potache, et qu'un demi-millénaire d'exégèse philologique n'a pas encore osé affronter, s'il l'a crypté afin que son oeuvre traverse les siècles annoncés de rationalisme obscur (et malgré l'acharnement des bibliothèques publiques à faire disparaître les traces des premières éditions), alors l'histoire qui s'est fondue dans le spectacle depuis quelques décennies, n'est que la ratification de la contemplation du prophète provençal. Et si l'histoire encore, est véritablement, depuis cinq siècles, à la remorque des Prophéties de Nostradamus, alors la volonté de changer les choses, l'arrogant dogme de l'idéologie moderne, n'est rien de plus qu'un leurre (ce pour quoi Spinoza a théorisé), et ces deux penseurs d'ascendance juive, l'un prophète et penseur, l'autre philosophe et voyant, sont probablement les premiers pourfendeurs de l'ontologie judéo-chrétienne, dont la pensée unique est l'ultime et le plus pitoyable avatar.

Et peu importe que la principale qualité des Prophéties et des Présages soit de simplement prêter à interprétation, si l'attention et l'émotion qu'ils suscitent sont pleinement satisfaites par l'écho qu'ils inspirent dans la conscience, et uniquement dans celle qui saura respecter le plan d'immanence généré par l'oeuvre prophétique : celui de la vision.
 
 
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Patrice Guinard: Nostradamus connaissait-il les planètes trans-saturniennes ?
http://cura.free.fr/05nostra.html
17-05-2000, last updated : 31-05-2018
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