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12 sonnets italiens (Cecco d'Ascoli, Tommaso Campanella)
(traduction Louise Colet & Marie-Claude Ramain)



I.- Sonnets attribués à Cecco d'Ascoli
(traduction Marie-Claude Ramain, CURA, 2003)

Ces sonnets ont été traduits à partir de l'édition Marco Albertazzi de l'Acerba de Cecco (La Finestra, piazza Grazioli 12, 38015 Lavis (Tn), Italia, 2002, http://www.La-Finestra.com)
 

Sonnet 1

Publié par O. Zenatti ("Una canzone capodistriana del secolo XIV sulla pietra filosofale", in Archivio storico per Trieste, l'Istria e il Trentino, vol IV, pp.81-117 et "Nuove rime d'alchimisti", in Propugnatore, n° 8, fasc.21, Bologna, 1891). Il a ensuite été publié par Vincenzo Paoletti (Cecco d'Ascoli, Bologna, Anichelli, 1905, p.136) et tiré du codex Riccardiano 946 et du codex Magliabechiano 3, XVI, qui est le manuscrit donné par Albertazzi dans cette édition ; P. Rosario (L'Acerba, Lanciano, Carabba, 1916) le donne dans son édition et indique qu'il fut publié la première fois par Bariola, affirmation dont la preuve n'a pas été trouvée. Le sonnet a enfin été publié par Mazzoni, Sonetti alchemici di Cecco d'Ascoli e frate Elia (Roma, 1952), tiré du codex Magliab.308.
 

Qu'il ne touche pas un corps ou du vif argent,
Celui qui ne sait ni dissoudre ni affiner,
Car le solide et le volatil
Ne sauraient appartenir à qui ne sait pas faire un seul avec deux.

Faites le donc se mélanger intimement
A de l'eau courante et à un sel dissolutif,
Bien le faire cuire doucement afin qu'il
Soit débarrassé de la terre mère qui le dissimule.

Alors tu verras fuir l'obscure nuit
Et revenir le beau et brillant Soleil
A la silhouette ornée d'une multitude de fleurs.

C'est la prêtresse, c'est l'antique
Ecriture des physiciens
Qui sur l'enclume battent le marteau.
 

Sonnet 2

Sonnet à Pétrarque, peut-être écrit en réponse à son sonnet : Pace non trovo, e non ho da far guerra. Il se trouve dans le codex Riccardiano 1103. Publié par Paoletti, p.143 et dans l'édition Rosario, p.156.
 

Je ne sais si je dois me dire de me taire :
Aveugle je ne suis et aveugle je dois me faire.
Pour mon salut j'ai déposé les armes
Car plus j'embrasse moins j'étreins.

Mais vivant maintenant dans le grand rets,
Je ne sais plus me guider en levant les yeux,
Et désormais je ne puis plus me contenter du bien,
Tant le froid glacial me brûle et me détruit inlassablement.

Si bien que tout en riant, je vis en pleurant,
Comme le phénix je chante dans la mort
Hélas ! Ainsi m'a réduit le manteau noir.

Douce est la mort puisque je meurs en chérissant
La belle vue recouverte du voile,
Que le ciel fabriqua pour ma peine.
 

Sonnet 3

Il se trouve dans le codex Riccardiano 1103. Publié par Paoletti, p.143 et dans l'édition Rosario, p.155.
 

Je suis seul au milieu de fleuves tempétueux
Et les voiles de mon intelligence sont déchirées ;
Je n'espère plus de signe de salut,
Car l'époque a changé de mœurs.

Les grands coups de tonnerre viennent des grandes hauteurs ;
Du rire suprême proviennent des pleurs méchants ;
Il n'y a pas de constance dans le règne terrestre ;
Les actions humaines passent comme fumées.

Le guide, qui sans soupçon fut le mien,
M'a rendu malheureux par sa douce ruse,
Et je vais traînant mes ennuis sous son voile.

Les larmes et les soupirs me glacent,
Car je ne suis plus ce Cecco qu'on disait homme,
Il se trouve que seul mon aspect lui ressemble.
 

Sonnet 4

Ce sonnet se trouve dans le codex d.V.5, 433 de la bibliothèque Casanatense ; publié par Paoletti, p.149 et dans l'ed. Rosario, p.154.
 

Le guide me montre par quel pouvoir
Se meut chacune de mes paroles,
Et il me confie toujours la sixième sphère
En tenant pour elle la balance en main.

Le troisième cercle appelle et conduit le cœur
Et la flamme d'amour qui vous nourrit
Du doux dire d'Apollon il vous renouvelle,
Et il semble partager son pouvoir avec vous.

Chacun de ces corps prie pour votre salut
Et votre renommée et non pour de nouvelles richesses ;
Ne délaissez pas maintenant la fleur qui produit un fruit.

Pour sa part, Pistoia ne se libérera pas
Le ciel changeant pour les neufs années à venir,
Je dis, si la pitié ne supprime pas cela.
 

Sonnet 5

Ce sonnet se trouve dans le codex Magliabechiano 991, VII ; publié par Paoletti, p.149 et Rosario p.154.
 

L'envie m'a infligé tant de morsures
Qu'elle m'a privé de tous mes biens,
Et m'a retiré toutes mes espérances
Puisque bref fut le cours de ma vie.

Ô Messire Cino, je vois que le temps
Est écoulé maintenant qu'il faut pleurer,
Puisque la secte qui entretient le vice
Semble à chaque heure obtenir le secours du ciel.

Je vois tomber ce royaume divisé,
Je vois que tout homme bon doit se taire,
Je vois qu'ici tout malveillant règne ;

Et qui y veut maintenir son état
Doit taire ce qui se cache en lui :
Guerre dans l'âme et paix dans la bouche.
 
 

II.- Sonnets de Tommaso Campanella
(traduction Louise Colet, Paris, 1844; CURA, 2003)

Ces sonnets sont parus en 1844 chez Lavigne (Paris) dans l'ouvrage Oeuvres choisies de Campanella [1568-1639], traduits pour la première fois de l'italien par Mme Louise Colet (pp.57, 62, 63, 66, 67, 83, et 106). Ils ont été choisis par Patrice Guinard et copiés par Marie-Claude Ramain pour le CURA.

"Je naquis pour combattre trois grands maux: la tyrannie, le sophisme et l'hypocrisie." (Campanella)
 

Sonnet 6: De l'univers et de ses parties

L'univers est un animal grand et parfait, statue de Dieu
faite à son image et qui rend hommage à Dieu ; nous, nous
sommes des êtres imparfaits, une misérable famille qui vivons
et habitons dans le ventre du monde.

Nous ignorons son amour et son intelligence ; de même le
ver qui est dans mon ventre ne s'étudie pas à me connaître,
mais s'applique à me nuire. Il ne faut donc se prononcer sur
rien qu'avec une grande circonspection.

Nous sommes à la terre (qui est un grand animal dans un
plus grand encore) ce que sont les vermines à notre corps
qu'elles rongent.

Hommes orgueilleux ! Levez les yeux avec moi, mesurez ce
que vaut chaque être, et apprenez par-là le peu que vous êtes !
 

Sonnet 7: Étrange découverte contre l'amour de soi

Le crédule amour de soi-même fit penser à l'homme que
les éléments et les astres (bien qu'ils soient plus forts et plus
beaux que nous) n'avaient ni intelligence ni amour, et qu'ils
ne se mouvaient que pour nous ;

Puis, que toutes les nations, hormis la nôtre, étaient barbares
et ignorantes, et que Dieu ne les regardait pas. Puis
nous avons appliqué cela à nos voisins ; puis enfin, chacun
finit par ne plus aimer que soi-même.

Dès lors, pour fuir la fatigue, l'homme fuit la science ;
puis, voyant le monde contraire à ses vœux, il nie la providence
et l'existence même de Dieu.

Arrivé là, il prend ses ruses pour de la raison, et, dans sa
perversité, pour dominer il crée de nouveaux dieux ; puis il
arrive à se proclamer l'auteur de l'univers.
 

Sonnet 8: Parallèle entre l'amour de soi et l'amour universel

Cet étrange amour, l'amour de soi-même, rend l'homme
incapable de tout bien, mais voulant vivre parmi les autres,
il est forcé de paraître sage, bon, courageux, et cette feinte
le fait renoncer à son individualité, sacrifice compensé par
les honneurs, la réputation et l'or.

Puis l'envie, lui montrant son propre blâme dans la vertu
des autres, l'aiguillonne et le pousse sans déguisement aux
injures, aux attaques et aux cruautés.

Mais celui qui remonte jusqu'à l'amour du père commun
regarde tous les hommes comme ses frères, et jouit avec
Dieu de leurs prospérités.

Bon François, tu appelais les poissons et les oiseaux tes
frères ; (heureux qui comprend cela !) aussi ne t'étaient-ils
pas rebelles comme à nous.
 

Sonnet 9: La raison sans force des sages antiques fut sujette de la force des fous

Les astrologues ayant prévu une constellation qui devait
rendre fous les habitants d'un pays, se déterminèrent à fuir,
se réservant plus tard de les guérir.

Or, quand ils revinrent pour accomplir ce grand dessein,
ils prêchèrent à ces fous, avec de belles paroles, l'ancienne
manière de vivre, de se nourrir et de s'habiller : mais chacun
leur répondit par des coups de poings et des coups de pieds.

De telle sorte que les sages, pour éviter la mort, furent
obligés de vivre comme les fous ; car le plus grand fou
avait la suprême autorité.

Ils ne vécurent avec raison que dans leurs foyers,
applaudissant en public les faits et gestes des insensés.
 

Sonnet 10: Les hommes sont un jeu pour Dieu et pour les anges

Les âmes, sous le masque du corps, donnent sur le théâtre
du monde aux habitants du ciel le spectacle de leurs agitations.

Elles accomplissent les actions et disent les choses pour
lesquelles elles sont nées. Elles vont de scène en scène, et de
chœur en chœur, tantôt joyeuses et tantôt tristes, selon ce
qui se trouve ordonné dans le fatal livre dramatique.

Elles ne savent et ne peuvent faire autre chose que ce que
la sagesse infinie y écrivit pour le bien de tous.

Quand ces jeux et ces combats simulés seront finis, et que
nous aurons rendus nos masques à la terre, au ciel et à la
mer, nous verrons en Dieu qui a le mieux dit et agi.
 

Sonnet 11: Sur le peuple

Le peuple est une bête changeante et grossière, qui ignore
ses forces, supporte les coups et les fardeaux les plus lourds.
Il se laisse guider par un faible enfant qu'il pourrait renverser
d'une secousse.

Mais il le craint et le sert dans tous ses caprices ; il ne
sait pas combien on le redoute, et que ses maîtres lui
composent un philtre qui l'abrutit.

Chose inouïe ! Il se frappe et s'enchaîne de ses propres
mains, il se bat et meurt pour un seul de tous les carlini
qu'il donne au roi.

Tout ce qui est entre le ciel et la terre est à lui, mais il
l'ignore ; et si quelqu'un l'en avertit, il le terrasse et le tue.
 

Sonnet 12: Sur lui-même

Dans les fers et libre, seul, sans être seul, gémissant et
paisible, je confonds mes ennemis ; je suis fou aux yeux
du vulgaire et sage pour la divine intelligence.

Opprimé sur la terre, je m'envole vers le ciel, la chair
abattue et l'âme sereine ; et quand le poids des malheurs
m'enfonce dans l'abîme, les ailes de l'esprit m'élèvent
au-dessus du monde.

Un combat dont l'issue est douteuse fait éclater le courage.
Toute durée est courte au regard de l'éternité, et rien
n'est plus léger que le plaisir le plus solide.

Je porte sur mon front l'image de l'amour du vrai, sûr
d'arriver heureux, avec le temps, là où, sans parler, je serai
toujours compris.
 


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12 sonnets italiens (Cecco d'Ascoli, Tommaso Campanella)
(traduction Louise Colet et Marie-Claude Ramain)
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