CORPUS NOSTRADAMUS 10 -- par Patrice Guinard

Naissance de Michel de Nostredame : le 21 décembre 1503
 

Personne à ma connaissance ne s'est sérieusement interrogé sur la date de naissance du prophète provençal, et hormis pour les astrologues et les biographes méticuleux, ce détail n'a guère d'importance. Tous les exégètes admettent sans sourciller la date donnée par la biographie tardive de Chavigny dans son Janus. Les archives d'état civil de Saint-Rémy sont muettes, et les deux principaux biographes des Nostre Dame, Edgar Leroy (1941) et Eugène Lhez (1968), n'ont apparemment rien trouvé concernant Michel. De même on ne connaît pas de "Bible" familiale, de "Livre de Raison" ou de registre de son père Jaume, commerçant devenu notaire en 1501. Ceci reste problématique, comme tout ce qui entoure la vie et les oeuvres du salonais.

On lira ici et là, ailleurs et certainement partout, que Michel serait né à St-Rémy le jeudi 14 décembre 1503, "environ les 12 heures de midy" précise Chavigny (Janus, p.1), ou "circiter meridiem" [autour de midi] (Janus, p.8), heure déjà bien suspecte pour qui connaît les pratiques des astrologues. Et pourtant ! Les témoignages des voyageurs et historiens des XVIIe et XVIIIe siècles sont formels, du moins parmi ceux qui ont réellement vu l'épitaphe de Nostradamus dans l'église des Frères Mineurs de Salon, et qui ne se sont pas contentés de recopier Chavigny : Michel Nostradamus a vécu 62 ans, 6 mois et 10 jours, et non 17 comme le prétend Chavigny (Janus, pp.5 & 10 ; Commentaires, p.4). En effet, s'il est bien décédé d'hydropisie à Salon en "son an climacterique" (Janus, p.4), c'est-à-dire dans sa 63e année, le mardi 2 juillet 1566 qui est le "jour de nostre Dame" (César, Histoire, p.803), "peu devant le Soleil levant" (Janus, p.4), c'est-à-dire à l'aube du 2 juillet 1566, il serait donc né le 21 décembre 1503.

Une naissance pour un 14 décembre, avec une durée de 6 mois et 10 jours, nous amènerait à une date de décès pour le 24 juin, ce qui contredit le codicille de son testament signé à Salon le 30 juin 1566. En outre, on peut difficilement croire à une erreur de calcul dans le décompte de la durée de vie, d'autant plus que ces 10 jours ne correspondent à aucun mécompte imaginable (retenue, dizaine, décalage du calendrier grégorien, etc).

Qui a composé le texte de l'épitaphe? Peut-être sa femme, qui le signe, et qu'elle aurait fait traduire par un latiniste salonais, ou plus vraisemblablement Nostradamus lui-même, comme l'assure Chavigny (Janus, p.10), cette fois justement : "Epitaphium sibi tale ipse condidit ad imitationem Liviani maxima ex parte" (il a composé lui-même cette épitaphe, et pour lui-même, en grande partie à l'imitation de Tite-Live). On trouve une version de l'épitaphe de Tite Live dans un ouvrage d'un ami de Nostradamus, Gabriello Simeoni : Illustratione de gli epitaffi et medaglie antiche (Lyon, Jean de Tournes, 1558, p.95), chez Du Verdier (Prosopographie, Lyon, Gryphius, 1573, p.246), ou encore dans Les Decades de Tite Live traduites par Blaise de Vigenère (Paris, L'Angelier, 1617, f.a4v). Mais c'est dans les Inscriptiones sacrosanctae d'Apianus et Amantius (Ingolstadt, 1534, p.347) que Nostradamus aura trouvé sa source d'inspiration (cf. aussi CN 19, 28, 61, 68, 130 et 194). Toujours chez Apien, on trouve des inscriptions au nom de PONTIA (p.104, p.224, etc.) qui ont influencé la latinisation du patronyme de sa femme.

Brind'Amour qui ignore ici Apien, Simeoni et Du Verdier, mais cite l'inscription d'après le Corpus Inscriptionum Latinarum de Mommsen (1873) avec son imprécision pour "Populi" (l'entraînant vers une traduction fautive), précise d'après le Corpus que l'inscription fut gravée après le transfert des ossements de Tite-Live en 1447, dont "on avait cru trouver en 1413 le sarcophage de plomb dans les jardins de l'abbaye de Sainte-Justine à Padoue" (1993, p.61). Une inscription tardive donc, comme celle des colonnes de Sintra reprise dans la traduction du traité de Galien (cf. CN 68).
 
Apianus, Inscriptiones sacrosanctae, Ingolstadt, 1534, p.347   Gabriello Simeoni, Illustratione de gli epitaffi, 1558, p.95  


Ossements de Tite Live de Padoue,
unique en dignité selon le jugement de tous les mortels,
et par la plume presque invincible duquel
sont consignés les exploits du peuple Romain.


César de Nostredame précise : "En quoy je n'estime point exceder de dire que par mesme loy ordonnee à tous les mortels, Michel de Nostredame mis au rang des hommes illustres le propre jour de Nostre Dame [le 2 juillet, fête de la Visitation], est mis en terre avec regrets, pompe & suitte honnorable au vieil & ancien Temple des Freres Mineurs, où à main gauche de l'entree se void son pourtraict au naturel, & ses armes qui sont de gueules à une roüe brisee à huict rayons composee de deux croix potencees d'argent, escartellé d'or à une teste d'Aigle de sable qu'il tenoit tant de ses ayeulx paternels que maternels, avec ce court Epitaphe contre une table de marbre d'environ huict pieds de long, composee de trois quarrés, attachee contre le mur à la maniere d'Italie. [Suit le texte de l'épitaphe]. Ce que j'ay voulu mettre non par ostentation ou superfluë vanité [c'est-à-dire ces précisions et ces propos concernant le tombeau de son père], mais par un juste devoir, accompaigné d'un desir de jetter plus loin & plus avant le nom de celuy qui m'a mis au monde, laissé quelque trace d'honneur excellent & non commun que j'ay suivy tant que j'ay peu, & merité ceste niche tant exiguë & modeste parmy tant d'illustres & magnifiques trophees & marques d'immortalité." (Histoire, 1614, p.803-804).

Les propos de César ont été tronqués et interprétés par certains, avec et après Leroy, comme indiquant que César lui-même, âgé de 12 ans en juillet 1566, aurait pu composer l'épitaphe de son père : "Si j'ai [sic] composé cette inscription, ce n'est ni par ostension [sic], ni superflue vanité, mais par un juste devoir, accompagné d'un désir de jetter plus loin et plus avant le nom de celui qui m'a mis au monde, laissé quelque trace d'honneur excellent et non commun... Il a bien mérité cette niche tant exiguë et modeste parmi tant d'illustres et magnifiques trophées et marque d'immortalité." (Leroy, 1972, p.107). Or, bien évidemment, César ne prétend pas l'avoir composée, mais l'estime digne d'être citée et de figurer dans son texte !

Le texte authentique de l'épitaphe, qui présente Nostradamus comme prophète et astrologue (et non comme humaniste ou encore médecin), a été transmis par l'historien Honoré Bouche, qui note qu'elle est gravée sur une table de marbre d'environ huit pieds de long, attachée contre le mur dans l'église des Frères Mineurs de Salon (1664, vol 2, p.650). C'est le témoignage le plus fiable.
 
 
D.   M.
OSSA CLARISSIMI MICHAELIS NOSTRADAMI VNIVS
OMNIVM MORTALIVM IVDICIO DIGNI CVIVS PENE DIVINO
CALAMO TOTIVS ORBIS EX ASTRORVM INFLVXV FVTVRI
EVENTVS CONSCRIBVNTVR. VIXIT ANNOS LXII. MENSES VI.
DIES X. OBIIT SALONÆ CIɔ Iɔ LXVI. QVIETEM POSTERI NE
INVIDETE.
ANNA PONTIA GEMELLA CONIVGI OPTIMO.   V.  F.



 

Il est à peu près certain que Nostradamus lui-même, en ait été l'auteur. En voici ma traduction : "Aux Dieux Mânes, les ossements de l'illustre Michel Nostradamus, le seul, au jugement de tous les mortels, digne de consigner d'une plume presque divine les événements futurs de l'humanité selon les influences des astres. Il a vécu 62 ans 6 mois 10 jours. Il mourut à Salon en 1566. Que la postérité ne trouble pas son repos. Anne Ponsard jumelle, sa moitié, en a fait le voeu pour son excellent époux." [V. F. pour Votum Fecit]. Ou : "Anne Ponsard sa moitié (souhaite) à son excellent époux la vraie félicité." [V. F. pour Veram Felicitatem : c'est la traduction de l'auteur de l'Eclaircissement (1656, p.37), probablement la meilleure]. Ou, plus malicieusement, en reprenant le sens d'une abréviation latine commune : "Anne Ponsard jumelle sa moitié, pour son excellent époux, (par cette épitaphe) le rend immortel dans la mémoire des hommes" [V. F. pour Vivus Facit]. Ou, plus classiquement, aux abréviations des Inscriptions latines d'Apien : Vivens Fecit, ou Vale Foeliciter ?

Le nom de la femme de Nostradamus était Ponsard. Son nom courant, PONSARDE, est une féminisation usuelle et affective de Ponsard. Son prénom était Anne ou ANNA (cf. CN 131). PONTIA serait une latinisation de Ponsard. Mais à la fin de la 6ème Satire de Juvénal (Sur les femmes, VI 638), Pontia, fille de Titus Pontius, est l'empoisonneuse de ses deux fils. Il s'agit d'une nouvelle facétie "post-mortem" de Nostradamus, probable rédacteur de l'épitaphe latine. Mais GEMELLA ? Je vois trois raisons. La première, c'est l'association faite par Nostradamus entre les deux femmes qu'il a aimées : Anna, et Henriette d'Encausse qu'il a épousée à Agen en mars 1532 (cf. CN 138), peut-être nées la même année (ca. 1515), le même mois ? ou du même signe astrologique ? (cf. CN 184). Seconde et troisième raisons : Anna avait au moins trois soeurs dont on ne connaît pas les dates de naissance : une autre Anne, "jumelle" par le nom, et deux autres filles, Louise et Antoinette, dont l'une a pu effectivement être la soeur jumelle d'Anna.

La mention des 10 jours (et non 17) est attestée par de nombreux témoignages, à commencer par celui de son fils César (1614), mais aussi par ceux de Henri de Sponde (Annalium Continuatio, 3, 1641, p.490), Jean de Giffré de Rechac (Eclaircissement, 1656, p.36), de Théophile de Garencières (The true prophecies, 1672, c2r), de Balthasar Guynaud (1693, pp.26-27), de Pierre Joseph de Haitze (1712, pp.131-132) qui donne un texte similaire à celui de Bouche, de Piganiol de La Force (1718, vol.3 ; 1753, vol.5, p.231) qui donne une description précise de l'emplacement du tombeau, du voyageur anglais John Durant Breval (1738) dont la transcription présente quelques différences avec celles de César et de Bouche, de Jean-Pierre Papon (1780), de Louis Domairon (1788, p.390), de Jacques Dulaure (1789, pp.48-49), dans La Vie et le Testament de Michel Nostradamus (1789, p.87), de Joseph Lavallée (1792, p.27), ou encore de Senancour (Oberman, 1804 ; 1965, p.235).
 




Ce Papon, qui ne sait pas compter 62 années, change la date du décès de Nostradamus au 24 juin, preuve qu'il se réfère bien a un texte mentionnant 10 jours, et non 17 : "On peut voir à Sallon, dans l'Eglise des Cordeliers, le tombeau du fameux Michel Nostradamus, né à Saint-Remy, le 14 Décembre 1503, & mort à Sallon le 24 Juin 1565." (p.141). Et César, défavorable à l'activité et à la réputation théurgiques de son père, préfère le conditionnel (CONSCRIBERENTVR : seraient consignés) au futur généralement mentionné (CONSCRIBVNTVR : seront consignés).

On peut néanmoins douter que les derniers rapporteurs (Papon, Domairon, Dulaure, Lavallée) aient été des témoins directs de l'épitaphe, ou alors leurs notes de voyage seraient bien antérieures à la publication de leurs ouvrages, car on lit dans le journal de voyage du comte polonais Auguste-Frédéric Moszynski, lequel passe par Salon en décembre 1784 : "Son corps est placé dans l'épaisseur du mur et fermé par une pierre dont l'inscription est totalement effacée." (Benoit, 1930, p.48).

A l'époque révolutionnaire, la sépulture de Nostradamus (cf. CN 191) est profanée et ses cendres sont transférées à la collégiale Saint-Laurent de Salon dans l'ancienne chapelle de Saint-Roch, aujourd'hui de la Vierge (cf. Gimon, pp.708-709). En juillet 1813, son épitaphe est reconstituée d'après le texte rajouté aux Prophéties dans des éditions avignonnaises tardives du XVIIIe siècle (éditions antidatées "Pierre Rigaud, 1566" : cf. CN 171), qui s'inspirent du texte de César et des mentions "D. O. M." et "DIES XVII" de la version de Chavigny. C'est cette version bâtarde de l'épitaphe qui figure encore à mi-hauteur sur le mur gauche de la chapelle de la Vierge dans l'église des Cordeliers de Salon, en bien piteux état. Nostradamus aurait anticipé ce transfert (cf. CN 175, CURA 2002-2013).
 


Tous les témoignages concordent sur l'inscription de la plaque, hormis Chavigny et ceux qui s'en inspirent. Pourquoi alors avoir retenu une durée de 17 jours, si le texte de l'épitaphe n'en indiquait que 10 ? C'est parce qu'on ne connaît la date de naissance de Nostradamus qu'à travers le témoignage de Chavigny lui-même, lequel a rectifié l'inscription funéraire en fonction de la date de naissance qu'il donne au début de sa biographie.

Reste le témoignage de César Nostradamus, contradictoire, ambigü, et pourtant remarquable. César indique les 10 jours de l'inscription initiale (p.804), et note que son père "Michel de Nostredame nasquit à la ville de Sainct Remy presques sur les abbois de l'an" (p.726). Cette expression imagée et inusitée montre, malgré ce qu'on peut lire, hélas, ici et là, que le fils de Nostradamus, dont on pourra consulter aussi la correspondance avec Peiresc, fut un plus fin prosateur que ceux qui ont cherché à l'accabler. Presques sur les abbois de l'an, c'est-à-dire pratiquement à la fin de l'année : expression qui ne convient pas au 14 décembre, mais parfaitement au 21 décembre, sachant que César s'exprime en 1614 et qu'on est passé à cette date au calendrier grégorien. Autrement dit le 21 décembre 1503 julien correspond au 31 décembre 1503 grégorien.

Mais la question se complique puisque César, ou son éditeur, rajoute la mention marginale : "L'an MDIII le XIIII Decembre". Cette mention est suivie de la suivante : "Naissance de Michel de Nostredame pere de l'Autheur Ferdinand frere de Charles d'Austriche, Jean Fréderic fils de Jean Duc electeur de Saxe & Cristien Roy de Danie & de Norvegue nasquirent ceste mesme annee." (p.726). Pas de point ni de virgule entre "pere de l'Autheur" et "Ferdinand", si bien que cette "Naissance de Michel de Nostredame pere de l'Autheur" peut se rattacher aussi bien à l'annotation précédente qu'à la suivante.
 


En outre, la note donnant la date du 14 décembre est décalée vers le haut et se rattache aux événements relatifs au parlement de Provence, de sorte qu'un Eugene Parker a pu comprendre que "le jour même de sa naissance, le parlement d'Aix, nouvellement constitué, quitta, en faveur de Brignoles, cette ville infestée." (1923, p.94). Parker rapporte la mention marginale de César au déplacement du parlement de Provence au palais de Brignoles, tout en interpolant la date de naissance de Nostradamus diffusée par Chavigny. Mais la première séance du parlement à Brignoles eut lieu courant octobre 1502 (selon Pitton, Histoire de la ville d'Aix, 1666, p.251).

Or l'interpolation initiale me semble venir soit des éditeurs de l'ouvrage de César, "Simon Rigaud pour la société caldoriene", soit de César lui-même qui n'hésite pas à introduire des ambiguïtés dans son discours à fin de piéger les lecteurs trop pressés, au premier rang desquels figure encore le Dr. Leroy qui écrit que Nostradamus "naquit, nous apprend son fils César, 'l'an M D III, le XIV décembre, presque sur les abois de l'an", singulière façon de dire qu'on était à la veille de la nouvelle année." (1972, p.55). Car, ce n'est pas ce qu'écrit César, et s'il est vrai que la veille du nouvel an correspond bien au 31 décembre grégorien, la date de la citation tronquée ne correspond pas, elle, à cette date.

Alors, soit les éditeurs de César ont rajouté la date de naissance de son père, soit César a fait une concession à la version diffusée par Chavigny, tout en dévoilant et voilant les informations utiles au lecteur capable de le suivre. J'opte pour la première hypothèse. En effet César, parlant des conditions de réalisation de son ouvrage, écrit à Pierre Hozier, le petit fils du notaire Étienne qui en 1547 scella le mariage de ses parents : "L'Imprimeur m'a fait tort en tout plein d'endroits où il a changé, tronqué & transposé mille choses, n'ayant fait ny punctuations, ny distances requises à telz discours." (lettre du 3 novembre 1617 ; in Hozier, Armorial, 1752, p.567).

Revenons à la version de Chavigny, elle aussi intéressante à plus d'un égard ; trois autres divergences significatives la distinguent de la version authentique de l'épitaphe : l'ajout de la mention "AN. CHRISTI" et le remplacement des initiales "D. M." d'origine païenne par la mention christianisée "D. OPT. M.", Deo Optimo Maximo (à Dieu très bon et très grand), qui traduit les obsessions religieuses de Chavigny, l'ajout de la date exacte du décès au 2 juillet 1566 (qui est précisément une invite à confirmer la date de naissance qu'il donne au début de sa biographie), et surtout la disparition du nom de l'épouse de Nostradamus, qui pourrait bien trahir des tensions entre la famille de Nostradamus et celui qui en a été le secrétaire (Chevigny), tensions et rancoeurs dont on ignore toutes les raisons, mais dont on peut légitimement supposer qu'elles ont trait ici à des divergences de vue quant au contenu à donner au texte de la plaque mortuaire. Quel intérêt aurait pu avoir un Chavigny espérant se faire passer pour l'ex-secrétaire de Nostradamus, de trafiquer l'inscription de la plaque funéraire et de faire disparaître le nom de celle qui l'a fait graver ? Et en 1594, l'année de parution du Janus, la femme de Nostradamus est décédée depuis 12 ans. Ce me semble être un argument supplémentaire en faveur de l'identification Chevigny/Chavigny contestée par certains (Dupèbe et Brind'Amour notamment), et ce pourrait être aussi une des raisons pour laquelle Chevigny/Chavigny a mis tant de temps à faire paraître ses traités nostradamiens.
 


Mais il y a davantage à l'appui de cette identification. On connaît deux versions de la dernière lettre des Épistres latines de Nostradamus, un recueil de lettres entre Nostradamus et ses correspondants, qu'il destinait à la publication, ou en tout cas à être diffusé d'une manière ou d'une autre. C'est son fils César qui a récupéré le recueil avant de le céder à Claude Fabri de Peiresc. La dernière lettre a été publiée en 1701 par Ludwig Mieg, qui ne connaissait pas le recueil, dans une version quelque peu différente de celle du recueil. En effet, dans la version de Mieg, la lettre est datée du 12 décembre, et non plus du 13, et rajoute au final les mentions suspectes qui font dire à Nostradamus : XII decembris "die autem ante natalem meum secunda" (deux jours avant mon anniversaire), puis "Atque haec meo Joanni Chevignaeo dictavi cubans." (propos que j'ai dicté alité à mon cher Jean de Chevigny).

Si cette lettre a bien été recopiée en 1566 ou même un peu après, comment le copiste aurait-il pu connaître le jour anniversaire de Nostradamus, à supposer qu'il ne soit pas né le 14 décembre, puisque cette information n'apparaît qu'avec la biographie du Janus de Chavigny en 1594 !? Autrement dit, si cette lettre ou cette copie de lettre, que je doute que Mieg ait pu authentifier ou en identifier l'écriture, est bien un faux, l'auteur de ce faux ne peut être que Chavigny lui-même, c'est-à-dire Chevigny ! Il y a donc fort à parier, que Chevigny, dans son excès de zèle à vouloir replacer Nostradamus sur la voie qu'il estime être celle qui lui sied au point d'avoir mis la main à certaines versions trafiquées de ses almanachs, et à vouloir attribuer au prophète-astrologue une "nativité" qu'il estime être la meilleure en tant qu'astrologue, a réussi à multiplier des documents et des informations qui le trahissent.

Reste à savoir pourquoi Chavigny a voulu faire naître Nostradamus une semaine avant le jour réel. Sans entrer dans des considérations astrologiques qui alourdiraient mon propos, d'autant plus que les pratiques de l'astrologue Chavigny me sont inconnues, je me contenterai de noter que Mercure, la planète des érudits et des astrologues, d'ailleurs à l'ascendant dans le thème de Chevigny tel qu'on le connaît à travers le Recueil des Lettres latines (Amadou, 1992, p.203), est en conjonction presque exacte avec le Soleil en Capricorne au 14 décembre du thème supposé de Nostradamus, et qui plus est culminante à midi, alors qu'elle n'est ni conjointe, ni même dans son signe solaire une semaine plus tard. On aurait ainsi l'exemple typique d'une fausse date de naissance, imaginée pour des "pseudo-raisons" astrologiques (pseudo, parce que la date proposée par Chavigny n'est certainement pas plus significative, astrologiquement, que celle qui fait naître Nostradamus une semaine plus tard) et circulant depuis plus de quatre cents ans parmi des biographes et exégètes inattentifs.

Françoise Joukovsky (in Nicolas Filleul, Les théâtres de Gaillon, Genève, Droz, 1971, pp. ix-x & sq.) signale un horoscope de l'abbé et poète rouennais Nicolas Filleul de La Chesnaye (1537- ap.1584), rédigé en latin par J-A de Chavigny en novembre 1581 (BM Rouen: Ms. P 43), année du Balet comique de la Royne représenté le 15 octobre : "Revolutio XLV perfecta, et XLVI currens, nobiliss(imum) ac virtutum splendore clarissimi viri Nic. Fillellii Rothomagen, primi apud Regem Christianissimum eleemosinarii, ab Io. Amato Chavignaeo, Belnensi, mathematico, non minus accurate supputata, quam sedulo explicata atque omnibus rationum momentis expensa juxta Ptolemaei et Arabum priscorum doctrina. M.D.LXXXI", in fine : "Faciebat Io. Amatus Chavignaeus Belnensis Lutetia Parisiorum, mense novembri, anno reparatae salutis christianae M.D.LXXXI" (in-4, 24 ff., 19.5 x 13.5 cm). Le manuscrit a appartenu au conseiller au parlement de Paris et bibliophile Paul Petau (1568-1614) alias Petavius [CAT Charles Lormier de Rouen, vol.3, 1905, n.4681, p.196 ; Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, T 48, Paris, Plon, 1933, n.353, p.13 ; Chevignard, 1995-1996, p.190]. L'horoscope est dressé pour le 13 janvier 1537, et Chavigny travaille à distance, d'après les données qui lui sont envoyées.

La notice dite "d'autorité" de la BNF est totalement fautive sur les dates concernant cet auteur : "1530-1575", ISNI 0000 0000 8357 224X source Wikipedia au 03-08-2015 ! L'influence des Geeks wikipèdes sur les bibliothétaires est désastreuse ; le métier se perd ; wikipedia n'est jamais la source de quoi que ce soit, sinon d'erreur. C'est aussi le principal vecteur de la confusion, du pillage des travaux originaux sans indication de source (les miens notamment par les sectes et groupuscules scientistes), et de l'anéantissement de la culture classique. Que des services de la BNF s'alimentent à ce déversoir et repère de canailles, dépasse mon entendement. C'est dire surtout où en est l'érudition et la culture en France et à Paris, au bord de l'abîme et vouées à l'acculturation : cf. aussi CN 165.


Thème Nostradamus dressé pour 12h30 Thème Nostradamus dressé pour midi


Les péripéties liées à l'épitaphe ou aux épitaphes de Nostradamus sont plus complexes encore. Robert Benazra me rappelle par courriel le témoignage de La Croix du Maine -- "Il mourut l'an 1566 en Juillet agé de 62 ans 6 mois & 17 jours, comme j'ay apris par son Epitaphe lequel a esté fait sur sa mort" (Bibliothèque, 1584, p.331) --, qui est le plus ancien attesté, mais qui contredit la dizaine de témoignages concordants, recensés entre 1614 et 1789. Ajoutons que La Croix ne donne aucune description matérielle de l'épitaphe qui attesterait qu'il se soit rendu à Salon, et il est probable qu'il aura reçu cette information d'un correspondant.

On notera aussi celui de l'allemand Justus Zinzerling alias Jodocus Sincerus : "Vix an. 62 M. 6 D. 17 obiit an. Salutis 1567. Quietem posteri ne invideant. Anna Pontia Gerena Salonia conjugi opt. V. F." (Itinerarium Galliae, 1616 ; 1649, p.144). Les nombreuses différences avec les autres versions ("Salutis", "1567" pour 1566, "invideant", "Gerena" pour Gemella, etc) laissent à douter que Zinzerling, qui ne consigne que quelques rares lignes sur Salon, ait pu voir le texte de l'épitaphe qu'il aura probablement repris d'un autre ouvrage, peut-être antérieur de quelques années, comme ceux des voyageurs allemands Matthias Quadt (Deliciae Galliae, sive Itinerarium per universam Galliam, Frankfurt, 1603), Gaspar Ens (Deliciae Galliae, sive Itinerarium per universam Galliam, Cologne, 1609), Paul Hentzner (Itinerarium Germaniae, Galliae, Angliae, Italiae, Nuremberg, 1612) ou Peter Eisenberg (Itinerarium Galliae et Angliae Reisebüchlein, Leipzig, 1614), ouvrages que je n'ai pas consultés.

Un autre témoignage, curieux et douteux, est celui de Claude Jordan qui affirme que le tombeau de Nostradamus serait situé en 1693 "moitié dans l'Eglise [des Cordeliers] & moitié dehors : ce qui a donné lieu à quelques-uns de dire que c'étoit parce qu'on ne sçavoit s'il étoit prophete ou sorcier" (p.16). Jordan affirme ensuite qu'un religieux le lui a montré, qu'on lit sur l'épitaphe que Nostradamus est décédé "le 2 Juillet 1566 âgé de soixante-deux ans, six mois & dix-sept jours" (p.17), et que l'épitaphe aurait été commanditée par Nostradamus, ainsi qu'il l'est stipulé dans les registres du couvent selon les dires du père cordelier. Cette présentation des faits semble controuvée, et le jour précis du décès directement provenir d'une lecture de Chavigny.

Concluons des témoignages précédents, bien qu'ils soient tous suspects à des degrés divers, qu'il aurait existé au moins deux versions de l'épitaphe, l'une attestée entre 1584 (La Croix du Maine) et environ 1612, l'autre entre 1614 (César Nostradamus) et 1789. Une plaque se change assez facilement, et on peut imaginer que vers 1614, le fils aîné de Nostradamus, alors premier consul de Salon (Gimon, p.455), a pu substituer à l'inscription précédente une version de l'épitaphe conforme à celle qu'il donne dans son ouvrage.

Cette conclusion ne résout pas pour autant la question de l'inscription originelle, car pour les années 1566-1584, aucun témoignage n'a pour l'heure été découvert. Il est possible qu'au décès de la veuve de Nostradamus, le 18 juillet 1582 (cf. Leroy, 1972, p.116), l'inscription initiale a été une première fois remplacée avant qu'elle ne soit rétablie une vingtaine d'années plus tard conformément aux instructions données par le consul de Salon, ou bien en 1590 par Louis de Gallaup qui rédigera une épitaphe en l'honneur de César son ami alors mourant (cf. Leroy, p.118), ou encore en 1595 après les troubles de Salon qui affectèrent les bâtiments de l'église Saint-Laurent et peut-être aussi ceux du couvent des Cordeliers (cf Gimon, p.412 sq.). Faute d'information supplémentaire, je m'en tiendrai pour l'heure à ce scénario.

Conformément à ses volontés testamentaires, Nostradamus fut inhumé debout dans la muraille de l'église Saint-François des Cordeliers de Salon, entre l'entrée principale et l'autel de Sainte-Marthe. Jean-Aymar Piganiol de La Force en donne une description au début du XVIIIe siècle : "En entrant dans l'Eglise des Cordeliers par la porte du Cloître, à main droite contre la muraille est le tombeau de Nostradamus, qui n'est autre chose qu'une saillie d'un pied, qui s'avance au-devant du mur. Ce tombeau est quarré, de la hauteur d'un homme debout, & le dessus est en forme de talus ou de pente. Son portrait qui est là, le réprésente [sic] tel qu'il étoit à l'âge de soixante-deux ans. Il paroît avoir été bel homme. Ses armes & celles de sa femme sont sur le tombeau & sur un lé de toile noire, qui est entre son Epitaphe & son portrait. Cette Epitaphe est gravée sur une pierre." (Piganiol de la Force, Paris, 1718 ; 1753, vol.5, p.230).

Sa femme et ses enfants auraient aussi été inhumés dans l'église des Cordeliers d'après le témoignage trouvé dans le cahier de route d'un voyageur de Vic-le-Comte à la date du 27 juin 1688 : "L'épitaphe de Michel Nostradamus, médecin et très célèbre docteur de Montpellier, natif de S. Rémy, et mort à Salon l'an 1566. Son tombeau est dans la muraille, on croit que c'est parce qu'il eut quelque dispute avec les paysans qu'il voulut qu'ils ne pussent jamais lui mettre le pied sur la gorge ou parce qu'on ne sait pas s'il était / sorcier ou véritable prophète. Son portrait, fait par son fils César Nostradamus, qui est presque aussi habile homme que son père, est sur son tombeau ; sa femme et ses enfants sont enterrés à côté de lui dans l'église." (A. Marignan, "Quelques notes sur le Midi de la France par un voyageur de Vic-le-Comte, en 1688", in Mémoires de l'Académie de Nîmes, 7.25, 1902, pp.41-42, d'après le ms 200 de la BM de Royat ; partiellement cité par Leroy, 1972, p.108).

Vers 1791-1795, son tombeau fut ouvert, son cercueil brisé et ses ossements dispersés par les gardes nationaux d'un bataillon marseillais lors d'une halte à Salon : "un bataillon de Marseillois brisa le cercueil du prophète provençal : la mort de celui qui a osé le premier y porter une main profane, a été regardée comme une punition de son impiété." (Aubin-Louis Millin, Voyage dans les départemens du Midi de la France, Vol. 4.1, Paris, Imprimerie Impériale, 1811, p.60). Millin note que le profanateur fut fusillé quelques jours après pour avoir volé de l'argenterie.

Le maire de Salon, un certain David, fit placer le restant de ses cendres à l'église collégiale de Saint-Laurent, dans l'épaisseur d'un mur de l'ancienne chapelle de Saint-Roch (qui deviendra chapelle de la Vierge) et y fit apposer cette inscription : "L'an troisième de la liberté, le tombeau de Nostradamus, qui honora Salon sa patrie, et dont le souvenir sera toujours cher aux patriotes français par ses prédictions du règne de la liberté, fut ouvert ; les citoyens, empressés de conserver ses cendres précieuses, se les divisèrent ; à peine la municipalité put-elle en recueillir la partie que cette tombe renferme : elle en a fait don à la postérité, ainsi que du portrait de cet homme célèbre [peint d'après l'original du musée Calvet : cf. CN 192], et de celui de son fils l'historien, peint par lui-même." (Millin, ibid., p.61). César y serait "représenté en pied, devant une table où il y a un livre ouvert, et contre laquelle est appuyée une mandoline ; il a l'épée au côté." (Millin, p.62). Pour les autorités municipales, Nostradamus aurait prévu l'ère républicaine et l'avènement de "la liberté". Mais par ce transfert de cendres, elles accomplirent sa prédiction et ses premières indications testamentaires relatives à la destinée de son cercueil dans "l'eglise colegie de Sainct Laurens dudict Sallon et dans la chappelle de Nostre dame" (cf. Testament, 3, note 2, CN 175).

Mais ce n'est pas l'un des portraits connus de César, ni l'inscription actuelle, établie sous l'Empire et indiquant le transfert des reliques de Nostradamus après 1789 et la refonte de son épitaphe en juillet 1813 : "RELIQVIAE MICHAELIS NOSTRADAMI IN HOC SACELLVM TRANSLATAE FVERVNT POST ANNVM MDCCLXXXIX. EPITAPHIVM RESTITVTVM MENSE IVLIO ANNO MDCCCXIII". On n'en finit pas avec les transformations de l'épitaphe originelle ! Et le texte municipal indique l'an III, c'est-à-dire entre septembre 1794 et septembre 1795, sous la Convention thermidorienne, période en contradiction avec d'autres dates avancées : septembre 1791 (Gimon, p.708) et destruction du couvent des Cordeliers en 1791 (Gimon, p.250), mars 1792 (dans les Nouveaux et Vrais Pronostics de Michel Nostradamus pour huit ans, Salon, 1793), ou encore 1793 (dans Les souvenirs prophétiques d'une sibylle d'Adélaïde Le Normand, Paris, 1814, p.333 citant les Anecdotes curieuses).

L'humérus gauche de Nostradamus aurait été récupéré par le frère aîné du biologiste Robert de Lamanon, Auguste Paul (1748-1820), maire de Salon en 1782, qui le confie en 1799 au médecin agenais Louis Joseph Rivière, lequel avait déjà conservé des restes de Scaliger, suite à la démolition de l'église des Augustins à Agen en mai 1792. L'humérus est exposé dans un hôtel du boulevard de la République à Agen (René Lacoste, "Jules César Scaliger et Nostradamus : amis ou ennemis ?", in Revue de l'Agenais, 127.3, 2000, p.335).
 
'humérus gauche de Nostradamus
 
 
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Patrice Guinard: Naissance de Michel de Nostredame le 21 décembre 1503
http://cura.free.fr/dico8art/603A-epit.html
01-03-2006, last updated 02-02-2020
© 2006-2020 Patrice Guinard