CORPUS NOSTRADAMUS 209 -- par Patrice Guinard
Eugène Bareste ou l'engagement pro-phétique
Pierre Eugène Bareste est né à Paris IVe le 5 août 1814 (heure hypothétique vers 6 heures avec Mercure et Mars en maison I, la Communication). Son engagement pro-phétique et pro-nostradamiste influencera la démarche de l'abbé Torné-Chavigny.
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Adepte du socialisme saint-simonien dans sa jeunesse (1832), Bareste entame une carrière littéraire et journalistique par une courte Biographie des hommes du peuple (Paris, Adolphe Rion, 1834, 35 p.) puis publie, à partir de 1837 pour différents périodiques dont le journal L'Artiste, des articles sur la peinture sur verre, l'archéologie, l'architecture, la tapisserie, ou encore l'histoire du théâtre. Entre 1839 et 1841, il entend réhabiliter le prophétisme, et en particulier les Prophéties de Nostradamus, dans le Paris encore sceptique mais politiquement éprouvé de l'époque, d'abord par la rédaction d'un texte court, initialement paru sous forme d'article en 1839, Napoléon et les prophéties (1840), amalgamant la fameuse et supposée prophétie d'Olivarius, une mystification collectivement partagée et datée de l'an 1542, aux explications de quelques quatrains de Nostradamus, trouvées chez Bouys (cf. CN 130 à l'année 1840).
La même année, chez Maillet à Paris, paraissent trois éditions successives de son ouvrage majeur, Nostradamus qui comprend une biographie romancée de Nostradamus, collage pris dans diverses sources, une "Histoire des Oracles et des Prophètes" (p.101-248) qui est aussi un virulent plaidoyer pour faire entendre la voix prophétique à l'oreille bouchée du sceptique voltairisé, une bibliographie globalement satisfaisante et reprise par Le Pelletier en 1867, une édition des Prophéties qui donne le texte de l'édition Bonhomme de 1555 dans son premier volet, et l'interprétation de quelques quatrains. Bareste déclare n'avoir trouvé aucun quatrain qui pourrait se rapporter à la période allant de la chute de l'Empire (1815) à la révolution de 1830 (p.525).
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Son édition des Prophéties a le même contenu que l'édition Pierre Rigaud de ca. 1606 (mentionnée p.255) avec l'ajout du quatrain VI 109 (Fille de l'Aure). La préface à César (p.267-283) et les premières centuries suivent l'édition Bonhomme de 1555 (d'après l'exemplaire de l'abbé James), 156 ans avant Brind'Amour (1996). Bareste déclare se servir de l'édition datée de "1605" pour les dernières centuries (p.257). Les préfaces à César et Henry sont découpées en 55 et 127 sections (découpage repris par beaucoup d'autres).
Bareste mentionne L'Oracle pour 1840 (Paris, Maillet, 1839) d'Henri Dujardin (pseudonyme de l'abbé James du diocèse de Verdun, rédacteur du Propagateur de la Foi), donne le texte (p.218) de la Prophétie dite du Solitaire d'Orval, prétendument "écrite en 1544, par Philippe Olivarius" (p.218), recopiée en 1823 (d'après Henri Dujardin qui en serait l'auteur) puis imprimée dans le Journal des villes et des campagnes du 20 juin 1839, et à nouveau celui (p.223) de Dieudonné-Noël Olivarius, prétendument écrit en 1542, présenté à Napoléon, imprimé en 1815, et fabriqué par Mlle Lenormand "selon toute apparence, car on y trouve plusieurs fois des locutions bizarres qu'elle affectionne" au jugement de Buget (1863, p.585) qui cite comme source possible de la mystification le De prophetia & spiritu prophetico Liber de Petrus Ioannes Olivarius Valentinus (Bâle, Ioannes Oporinus, 1542). Tout ceci relève de la candeur et/ou de la mystification, et encore une fois Nostradamus aura été doublé, trahi, et mêlé à des niaiseries qui seront prises au sérieux quelques décennies plus tard par Torné-Chavigny, par ses adeptes, et beaucoup d'autres (cf. CN 200). Cependant le jugement de Buget sur l'ouvrage est sévère, excessif, voire injuste : "le Nostradamus de M. Bareste n'est pas un livre sérieux : ce n'est qu'une plaisanterie politique et littéraire" (1863, p.587). Bareste aura au moins donné le texte authentique de la première édition des Prophéties près de 150 ans avant sa redécouverte en bibliothèque par Robert Benazra.
Sur sa lancée, Bareste publie un pot-pourri intitulé Prophéties. La Fin des temps (Paris, Lavigne, 1840, in-12, [12] + 136 p., 3 tirages + une réédition en 1842, copie), qui contient des extraits des prophéties ou dites prophéties de Cazotte (XVIIIe), du Liber mirabilis (attribué à Saint Césaire par Jean de Vatiguerro, XIIIe), de l'abbé Werdin (XIIIe), de Jérôme Botin (1410), du cardinal Pierre d'Ailly alias Alliacus (1414), de Jean Müller de Monte Regio alias Regiomontanus (1476), du moine de Padoue (XVIe), de Lichtenberger (1526), de Pierre Turrel (1531), de Richard Roussat (1550), de Philippe Dieudonné-Noël Olivarius (1542 ; 1815), du solitaire d'Orval (1544 ; 1823), d'Antonio Torquato dit Torquatus sur l'Égypte et la Turquie (1555), sur l'avenir de l'Arabie et de l'Islamisme (1821), sur la Turquie (1561), de Nostradamus, de Couillard, seigneur du Pavillon (1560), de la prophétie sur la Succession des papes dite de saint Malachie, d'une religieuse de Belley (1810 ; 1832), de Martin de Gallardon dit le laboureur (1816), sur les malheurs qui menacent la France par un ecclésiastique qui annonce la croix de Migné (1819-1826), et des visions d'une ancienne religieuse (1829). La préface est datée du 14 septembre 1840, et les quatrains interprétés ou seulement mentionnés (p.58-76 de la 2e édition de 1840) sont repris de son Nostradamus de 1840 : IX.49, VIII.76, II.51, IX.18, S 52, S 6, X.43, VII.44, I.36, III.59, IX.20, IX.34, VIII.87, IX.77, IX.11, V.33, VII.14, VI.9, VIII.57, V.60, VII.13, X.23, II.44, V.30, IV.93, III.49, IX.89, VI.13, IX.5, VI.83, VIII.42, III.91 et III.93. Pour des recueils similaires, cf. le Recueil de prédictions d'Édouard Bricon (Paris, Librairie Catholique Bricon, 1830) ou le Recueil complet des prophéties les plus authentiques (Lyon, P.N. Josserand, 1870).
Dans les années qui suivent, il publie un Almanach prophétique, pittoresque et utile (entre 1841 et 1848 : cf. celui pour 1841), donnant lieu à un almanach satirique mis au nom de Barestadamus (nous donnons du Bareste) en 1847 : L'Anti-prophétique. Almanach historique pour 1847 (Paris, "chez l'Éditeur"). L'almanach continuera de paraître sous l'égide d'un "neveu de Nostradamus" jusqu'au début du XXe siècle.
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En 1842 puis 1843, paraît sa traduction avec notes et commentaires de l'Odyssée puis de l'Iliade d'Homère, illustrée par Théodore Devilly, A. Titeux et Aimé de Lemud (Paris, Lavigne) et appréciée de Flaubert (cf. Bareste, Eugène (1814-1861), du saint-simonisme à l'édition populaire). Bareste devient rédacteur en chef du journal parisien La République du 26 février 1848 au 2 décembre 1851, date du Coup d'État napoléonien. Emprisonné le 7 novembre 1851 pour délit de presse, puis libéré six mois plus tard, il abandonne le journalisme, la politique et les recherches érudites pour se consacrer aux affaires. Il décède à Paris IIe à son domicile du 5 rue Saint-Marc le 1er juin 1861 à 23h30 ("en juin" dans le Journal des Arts, des Sciences et des Lettres (n.33.6, Paris, 1861, p.47) qui donne d'autres informations approximatives ou fantaisistes, le 3 juin ou le 8 juin ailleurs !).
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Patrice Guinard: Eugène Bareste ou l'engagement pro-phétique
http://cura.free.fr/dico8art/1606bareste.html
20-06-2016 ; updated 06-12-2018
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