CORPUS NOSTRADAMUS 20 -- par Patrice Guinard
 

Boaistuau et Marconville : le compilateur et le plagiaire
(Annexe au Traité des Fardements et Confitures de Nostradamus)
 

020A : En 1558 paraissent à Paris, chez Vincent Sertenas et chez Gilles Robinot, deux éditions du Théâtre du monde, où il est faict un ample discours des misères humaines, du breton Pierre Boaystuau, dit Launay. L'ouvrage aurait été d'abord composé en latin, d'après une mention au titre, puis traduit en français. Le privilège est daté du 1er juillet 1558. L'ouvrage est réimprimé l'année suivante pour les parisiens Jean Longis et Robert le Mangnyer.
 

La même année, Boaistuau fait paraître chez Sertenas son Bref discours de l'excellence et dignite de l'homme, lui aussi traduit du latin, et participe à l'édition des Histoires des amans fortunez de Marguerite de Navarre. On se méfiera de l'indication fréquente d'une composition préalable en latin dont aucune édition n'est attestée, aussi présente chez les adversaires de Nostradamus : Hercules Le François (1557), Jean de La Daguenière (1558), Laurent Videl (1558).

Le Théâtre du monde est un succès de librairie : le seiziémiste Michel Simonin, dans son commentaire de 1981, en recense une cinquantaine d'éditions entre 1558 et 1589, et note que cette "encyclopédie croupion" mérite "l'attention studieuse" qu'on lui porte depuis quelque temps : par le plagiat, "la réécriture et le détournement de textes ou de genres familiers, notre connaissance de la littérature de l'époque ne peut que s'approfondir." (p.10).

On peut en effet l'espérer et encourager les études studieuses et qualifiées de poursuivre leur effort : en effet, concernant le seul passage qui nous intéresse ici, la description de la peste d'Aix en 1546 par Boaistuau d'après le Traité des Fardements et des Confitures de Nostradamus (cf. CN 19), sans indication d'auteur, Simonin ignore encore en 1981 la source du compilateur : "Nous savons en outre que Michel de Nostredame fait merveille dans la ville [d'Aix] à cette occasion, mais a-t-il fait part de son expérience?" (Simonin, p.289) ! La connaissance des oeuvres du médecin astrologue salonais n'appartient pas au cursus habituel de ces spécialistes, même parmi les plus respectés, et visiblement leur genre ne leur est pas familier.


 
L'an mil cinq cens quarante six que je feus esleu & stipendié de la cité d'Aix en Provence, où par le senat & peuple je fus mis pour la conservation de la cité, où la peste estoit tant grande, & tant espouventable, que commença le dernier de May, & dura neuf moys tous entiers, où mouroit de peuple sans comparaison de tous eages en mangeant, & en beuvant, que les cymetieres estoient si pleins des corps morts, que l'on ne sçavoit plus lieu sacré pour les enterer : & la plus grand part tomboient en phrenesie au second jour : & ceux ausquelz la phrenesie venoit, les tasches ne venoient point : & ceux à qui les tasches venoient, ilz mouroient subitement en parlans sans avoir nulle alteration de bouche, mais apres la mort toute la personne estoit couverte de tasches noires : & ceux qui mouroient avec phrenesie leurs urines estoient subtiles comme vin blanc : & apres leur deces la moytie de tout le corps estoit de la couleur du ciel rempli de sang violet : & la contagion estoit si violente & maligne, que seulement si l'on s'approchoit cinq pas pres d'un qui feusse pestifere, tant qu'il [y] en avoit tous estoient blecez : & plusieurs avoient charbons devant & derriere, & mesmes par toutes les jambes : & ceux qui les avoient derriere la personne leur donnoit une demangeson : & la plus grand part de ceux la eschapoient : mais tous ceux qui les avoient devant n'en eschapoit pas un.

Feurent peuz qui eussent les apparences derriere les oreilles : & feut au commencement, & vivoient jusques à six jours : & j'estois esbahy qu'ilz mouroient plustost au sixiesme que au septieme jour, sinon pour cause de la tyrannie de la maladie : & vers le commencement & le millieu n'en eschappoit pas un : les saignees, les medicamens cordiaux, catartiques, ne autres n'avoient non plus d'efficace que rien : la tyriaque d'Andromachus composé[e] justement au vray n'avoit lieu : la fureur de la maladie estoit si enflamee, qu'il n'en eschappat pas un : quand on avoit fait la visitation par toute la cité, & jette hors les pestiferes, le lendemain en y avoit plus que au paravant [sic] : & ne trouva on medicament au monde qui feusse plus preservatif de peste qu'estoit ceste composition : & tous ceux qui en portoient & tenoient à la bouche estoient preservez : & devers la fin on trouva par une experience manifeste que cecy preserva un monde de la contagion : & combien que le fait n'appartient à la matiere de quoy nous parlons, si est ce qu'il n'a pas esté estrange raison d'avoir raconté le secours qu'il nous a fait en temps pestilentieux : car celle peste que feut lors, estoit tant maligne, que c'estoit chose espouventable : plusieurs affermoient que c'estoit punition divine : car à une lieue tout à l'entour n'y avoit que bonne santé : & toute la ville estoit tant infecte, que seulement du seul regard que faisoit celuy qui estoit contaminé venoit subitement donnerinfection à un autre : les vivres estoient en abondance & de toute sorte presque à vil pris : mais la mort estoit tant subite effreneement que le pere ne tenoit compte de son enfant : sont estes plusieurs qui ont abandonnes [sic] leurs femmes & enfans quand ilz cognoissoient qu'ilz estoient frappes de la peste.

Plusieurs entaches de peste par phrenesie se sont jettez dens les puiz : d'autres se sont precipitez de leurs fenestres en bas sur le pavé : d'autres qui avoient le charbon derriere l'espaule, & devant la mamelle leur venoit une saignee du nez qui duroit nuict & jour violentement, qui mouroient : les femmes enceintes venoient avourtir, & au bout de quatre jours mouroient : & trouvoit on que l'enfant mouroit subitement, & le luy trouvoit on tasché tout le corps d'une couleur violete, comme si le sang eut esté espandu par tout le corps.

Au brief parler la desolation estoit si grande, que avec l'or & l'argent à la main souventesfois mouroit on par faute d'un verre d'eau : & si je venois ordonner quelque medicament pour ceux qui estoient blecez, l'on le apportoit la : & estoit administré pourement, tant que plusieurs mouroient le morceau à la bouche.

Entre les choses admirables que je pense d'avoir veu : c'est que j'ay veu une femme que ce pendant que je l'allis veoir, & en l'appellant par la fenestre, me respondre & me rendre response de ce que je luy disois, sortir à la fenestre qu'elle mesme toute seule se cousoit le linceul sur sa personne commençant aux piedz, venir les alabres que nous disons en nostre langue Provençale qui portent & ensevelissent les pestiferes, entrer dens la maison de ceste femme, & la trouver morte & couchee au millieu de la maison avec son suere demy cousu : & cela fut à trois ou quatre parts à la ville : & de l'une moymesme je l'ay veu : & eusse voluntiers raconte d'avantaige tout le fait de la pestilence que avint à ladite ville : mais ce seroit rendre nostre labeur confus.
 

Nostradamus, Opuscule, 1555, pp.50-54

L'an mil cinq cens quarante six, le dernier jour de May, il s'esleva une peste, qui dura neuf moys, tant grande & espoventable à Aix, cité de Provence, ou le peuple mouroit de toutes aages en mangeant & beuvant : de sorte que les cimetieres estoient tant pleins de corps, qu'on ne trouvoit plus ny lieu, ny place, pour les enterrer, & la pluspart des malades tumboient en frenaisie le second jour, & se gettoient dans les puys, autres se precipitoient par leurs fenestres du haut en bas sur le pavé. Aucuns autres estoient vexez d'un flux de sang par le nez, lequel decouloit jour & nuict violentement comme un torrent, & avec l'effusion de sang, se terminoit la vie.

Et devint la chose à telle extremité, & desolation, que les femmes enceinctes avortoient au bout de quatre jours, & mourroient elles & leur fruict, lequel on trouvoit apres tout chargé d'une couleur violette & azurée, comme si le sang eust esté espandu par tout le corps. Et à brief parler, la desolation estoit si grande, que le pere ne tenoit compte de son enfant, ny le mary de sa femme. Et avec l'or & l'argent en la main, souventesfois on mouroit de faim par deffault d'un voirre d'eau. Ou si de fortune ilz avoient à manger, le mal estoit si cruel & subit, qu'on les trouvoit morts le morceau en la bouche : & la fureur de la maladie estoit si enflammée, & la ville si infectée, que d'un seul regard qu'ilz gettoient sur quelque un, le contaminoient incontinent, & leur souffle & alaine estoit si veneneuse qu'il s'eslevoit incontinent des bosses, & pustules, sur la.partie qui en estoit attaincte.

C'est une chose espoventable & monstrueuse en nature, ce qu'un medecin nous a laissé par escrit, lequel estoit deputé de messieurs de la ville, pour secourir & soulager les malades, que ce mal estoit si cruel & maling, que pour saignées, vantouses, thiriaque, & tous autres medicaments cordiaux, il ne laissoit à tuer, meurdrir, suffoquer & esteindre. De sorte que celuy qui en estoit surprins, n'avoit autre esperance d'en guarrir, que par l'assault de la mort, & estoient si resoluz en cela, que soudain qu'ils se sentoient saisiz, eulx mesmes prenoient un linceul, & se cousoient tous vifz dedans, n'attendans autres chose, que le violent depart que l'ame avoit affaire d'avec le corps, son mortel habitacle. Ce qu'il depose luy mesme avoir veu & experimenté en plusieurs, & specialement en une femme, laquelle il appella par la fenestre, pour luy ordonner quelque remede pour son mal, laquelle il aperceut par ladicte fenestre, où elle se cousoit elle mesme en son linceul : de sorte que ceux qui enterroient les pestiferez, estans entrez en sa maison quelque heure apres, la trouverent morte, & couchée au milieu de sa maison avec son suaire à demy cousu.

Boaistuau, "Contagion à Aix", Théâtre, Paris, Jean Longis & Robert le Mangnyer, 1559, pp.69-71


 

Simonin mentionne trois documents d'archives confirmant l'étendue de la peste à Aix en 1546-1547 et les mesures d'exception adoptées par la municipalité (Archives Communales d'Aix-en-Provence, CC 460 : 1545-1547, BB 43 : 17 octobre 1546, et BB 44 : 1546-1547, in Simonin, 1981, pp.288-289). La présence de Nostradamus à Aix est attestée courant juin 1546 par le trésorier de la ville Paul Bonnin, tenant registre des dépenses municipales, et des émoluments qui lui sont versés à cette occasion : "M[aitr]e Micheou de Nostredame, dix écus d'or sol pour son entrée dans la convention faicte comme appert plus a plain au mandement et acquit cy produits, cy XXXVII fs [florins] VI s [sous]." (Archives Communales d'Aix-en-Provence, CC 460, f.23 ; cité in Lhez, 1961, p.217).

Un an après la publication du Théâtre, lors de son édition critique d'un autre ouvrage de Pierre Boaistuau, Simonin découvre (ou on lui fait découvrir) le texte de l'auteur du passage que paraphrase Boaistuau et qu'il ne mentionne que de manière allusive : "un medecin nous a laissé par escrit, lequel estoit deputé de messieurs de la ville, pour secourir et soulager les malades" (Boaistuau, Théâtre, éd. Simonin, III 208-210, p.177).

En 1983, le seiziémiste revient sur le texte de Nostradamus d'après l'exemplaire Rés V 2623 de la BNF (Lyon, Antoine Volant, 1555), incorrectement identifié ("A. Vollant, 1556" : Simonin, 1983, p.127), mais surtout très mal retranscrit, par exemple au dernier paragraphe : "je l'allés veoir" pour "je l'allis veoir", "son suaire demy cousu" pour "son suere demy cousu", "trois ou quatre parts de la ville" pour "trois ou quatre parts à la ville", et même l'omission de tout un pan de phrase : "de ceste femme, & la trouver morte & couchee au millieu de la maison", etc (Simonin, 1983, p.128). Autrement dit, quand il s'agit de Nostradamus, il semble plutôt de bon ton dans la recherche universitaire française, d'ignorer les ouvrages, de donner des références aléatoires, et de ne citer des passages que de manière approximative. En revanche, quand il s'agit de médiocres versificateurs, ou d'insignes compilateurs comme Boaistuau, la rigueur est de mise, probablement en raison des affinités qui unissent le chercheur à son sujet d'étude. L'historien de l'astrologie ne sera pas étonné de ces principes : ils sont monnaie courante dans son domaine.

Chavigny connaissait l'ouvrage de Boaistuau, et sa description de la peste -- par "le Seigneur de Launay en son Theatre du Monde, selon les vrais rapports, qui luy en furent faits par nostre auteur" (Janus, 1594, pp.2-3), à savoir Nostradamus. Les termes de la version latine de sa biographie sont plus neutres ("ex verbis Autoris nostri et testimonio", Janus, 1594, p.9) et n'impliquent pas nécessairement une transmission orale. Simonin spécule à partir de cette formulation évasive que Chavigny pourrait ignorer l'existence de l'Opuscule, et que "Boaistuau aurait été informé oralement par le médecin." (1983, p.129). Rien n'est moins sûr, et même si l'auteur du Janus écrit que Nostradamus "fut trois années aux gages de la cité" d'Aix (p.2) -- ce qui est erroné --, c'est mal connaître Chavigny qui généralement fait état de ce qui l'arrange et passe sous silence, ou au besoin transforme, ce qui dérange ses vues : il est plus que probable qu'il n'aura pas souhaité mentionner un ouvrage qui, à son jugement, pourrait sentir le soufre pour différentes raisons, et qui laisse apparaître un Nostradamus facétieux, donnant la préparation d'un aphrodisiaque, et  ignorant les théologiens pour vénérer le "souverain soleil, qui est la vraye lumiere de Dieu" (cf. mon analyse du TFC, CURA, avril 2006).
 

Du compilateur au plagiaire

020B : En 1564 (à Paris, chez Jean Dallier) paraît le Recueil memorable d'aucuns cas merveilleux advenuz de noz ans, un ouvrage de l'écuyer Jean de Marconville, né dans le Perche vers 1520 et décédé vers 1580. L'auteur, au titre, est incorrectement orthographié Marcouville, et c'est encore sous ce nom fautif qu'il figure chez un Roger Prévost qui en fait l'une des sources principales de ses commentaires dans son ouvrage de 1999, lequel prétend donner des leçons d'histoire aux interprètes des Prophéties.

Marconville s'inspire d'ailleurs abondamment dans son ouvrage des Histoires de Boistuau "mises en lumière depuis 2 ans" (f.105r). Les Histoires prodigieuses les plus memorables qui ayent esté observées, depuis la nativité de Jesus Christ, jusques à nostre siecle sont parues à Paris chez Vincent Sertenas en 1560 : une autre compilation -- primairement antiastrologique au 19e chapitre (p.66-71) -- d'anecdotes "extraictes de plusieurs fameux autheurs, Grecz, & Latins, sacrez & prophanes" d'après une mention au titre.

Marconville, ignoré par Simonin dans son article de 1983, reprend le récit de la peste d'Aix : c'est l'objet principal du chapitre VI de son recueil, "D'une estrange & merveilleuse contagion d'air qui fut à Aix en Provence l'an 1546 & autres contagions desquelles le monde a esté moult affligé, tant es siecles anciens que modernes".
 
 
"L'an mil cinq cens quarante six, le dernier jour de May, il s'esleva une peste, qui dura neuf moys, tant grande & espoventable à Aix, cité de Provence, ou le peuple mouroit de toutes aages en mangeant & beuvant : de sorte que les cimetieres estoient tant pleins de corps, qu'on ne trouvoit plus ny lieu, ny place, pour les enterrer, & la pluspart des malades tumboient en frenaisie le second jour"
 
 

"C'est une chose espoventable & monstrueuse en nature, ce qu'un medecin nous a laissé par escrit, lequel estoit deputé de messieurs de la ville, pour secourir & soulager les malades (...) Ce qu'il depose luy mesme avoir veu & experimenté en plusieurs, & specialement en une femme, laquelle il appella par la fenestre, pour luy ordonner quelque remede pour son mal, laquelle il aperceut par ladicte fenestre, où elle se cousoit elle mesme en son linceul : de sorte que ceux qui enterroient les pestiferez, estans entrez en sa maison quelque heure apres, la trouverent morte, & couchée au milieu de sa maison avec son suaire à demy cousu."

Boaistuau, Théâtre, 1558

"la contagion d'air qui s'esleva l'an 1546 sur la fin du mois de May si espovantable à Aix ville de Provence, qui dura pres d'un an entier, que le pauvre peuple mouroit en mangeant & buvant, & en mourut en si grand nombre que tous les cimetieres estoyent si pleins des corps des morts, qu'il ne se pouvoit plus trouver lieu ou l'on les peust inhumer, & ceux qui estoyent affligez de ceste maladie tomboyent en une passion frenetique"
 

"Ce qui à [sic] esté certifié par un des Medecins, desputez par les Magistratz de la ville, lequel avoit esté ordonné pour le soulagement des malades, lequel testifie de certain, d'une femme que il appella par la fenestre, pour luy ordonner quelque regime, mais il apperceut par ladicte fenestre ou elle se cousoit en un linceul, & tost apres ceulx qui avoyent la charge d'enterrer les mortz de peste, estans entrez en sa maison, la trouverent morte dedans son suaire à demy cousu."

Marconville, Recueil, 1564, ff. 26r & 26v-27r


 
 

Sa version du récit reprend l'exposition et le vocabulaire de Boaistuau, et non ceux de l'original nostradamien. Par exemple :

Marconville : "un flux de sang inetanchable qui decouloit par les narines (comme un torrent)" (f.26v)
Boaistuau : "un flux de sang par le nez, lequel decouloit jour et nuict violentement comme un torrent"

Marconville : "il s'eslevoit sur la partie hanelée des pustules & petites bosses." (f.26v)
Boaistuau : "il se eslevoit incontinent des bosses, et pustules, sur la.partie qui en estoit attaincte."

Les expressions flux de sang, torrent, bosses et pustules se lisent dans la version de Boaistuau, pas chez Nostradamus. Ainsi Marconville "s'inspire" de Boaistuau -- et non l'inverse ! -- contrairement à ce qu'écrit imprudemment Brind'Amour : "Boaistuau aura plutôt pris sa matière à Jean de Marcouville [sic]" (1993, p.549). Sa version du récit de la peste d'Aix est le plagiat d'une compilation.

Cependant Marconville connaissait l'Opuscule de Nostradamus puisqu'il mentionne explicitement le chapitre 18 du premier livre sur le filtre amoureux, ou poculum amatorium ad Venerem (cf. mon étude sur ce traité, CURA, avril 2006). Est également mentionnée une prédiction attribuée à Nostradamus ("Nostradamus en la prediction du mois de May") : "Aussi ilz [les astrologues] ont escrit & pronostiqué, que c'est [sic] an present 1563 sera bien difficile à passer, pource qu'il sera plein de diversitez & adversitez : & un d'entre eulx a bien osé escrire qu'il y aura, non seulement mutation & changement de temps & d'estatz, mais aussi de religion." (f.9r), probablement une allusion à la prédiction pour la nouvelle lune de mai 1563 ("temps divers & fort variable, plusieurs & diverses mutations tant de temps que d'estats & de religion, & la mutation sera subite en une nuict"), parue dans la contrefaçon parisienne Barbe Regnault de l'Almanach pour l'an 1563 (f.C7r).

L'auteur de La Manière de bien policer la république chrestienne (Paris, Jean Dallier, 1562) et d'un Chrestien advertissement aux refroidiz et escartez de l'ancienne église catholique, romaine & apostolique (ibid., 1571), un proche d'Antoine Couillard (?), ajoute : "c'est passer les bornes de la Philosophie naturelle, & ressembler plustost à un Icaromenippe, Lucianiste qu'a un Mathematicien ou Astrologue (...) de predire de l'estat des Roys, de leur vie, de leur mort, de l'emotion des guerres & seditions, de l'issue d'icelles, de la paix, du gouvernement des Republiques, changemens d'estatz, mutation de Religion : car c'est outrepasser les limites de nature, & se vouloir approprier une chose, laquelle Dieu s'est reservée en proprieté, qui est la prescience, & cognoissance des choses advenir, predestinées de son sainct vouloir immuable." (Recueil, f.9r)

Cet avertissement banal ne l'empêche pas de croire aux "prodiges" et signes célestes, à savoir "arcs, doubles lunes & cometes", d'en accepter superstitieusement les conséquences supposées, quitte à se retrouver en contradiction avec ce qui précède : "Quand feuz extraordinaires [arcs, doubles lunes & cometes] apparoissent en l'aïr ilz nous presignifient pestes, guerres & mutations populaires." (f.46v). Car si ces phénomènes "présignifient" quelque chose, pourquoi les experts en ces matières, astronomes et astrologues compétents, devraient laisser aux théologiens en herbe et ignares en ces questions techniques, le soin d'en expliciter les significations?

Marconville en est encore, hélas, passé la quarantaine, à publier un recueil insipide, De la bonté et mauvaistié des femmes (1563), qui a les honneurs d'une réédition récente (Paris, Champion, 2000), alors que la plupart des oeuvres de Nostradamus attendent encore leurs éditions critiques ...

En conclusion, les témoignages de Boaistuau et de Marconville ne nous apprennent pas grand chose, si ce n'est que ces auteurs citent volontiers le récit imagé de la peste d'Aix, qui agrémente leurs compilations, mais sans juger bon d'en mentionner son auteur, que cette politique du plagiat, qu'on retrouve chez un Claude Fabri, chez le pseudo Mi. Nostradamus dit le jeune, ou encore chez les Crespin, Coloni, Cormopède et autres imitateurs -- quoique pour ces derniers il s'agisse davantage d'un commerce --, n'affecte pas seulement les Prophéties mais aussi des oeuvres non prophétiques de Nostradamus, que, lorsqu'il est cité, c'est pour le proscrire ou encore pour en rapporter des propos issus de sources douteuses, et, plus inquiétant, que cette tradition des citations partielles, tronquées, ou partialement tronquées (cf. par exemple un Jean Dupèbe et son école) se perpétue encore, dans les milieux académiques prétendument qualifiés.
 
 
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Patrice Guinard: Boaistuau et Marconville : le compilateur et le plagiaire
(Annexe au Traité des Fardements et Confitures de Nostradamus)
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03-05-2006, last updated 21-02-2018
© 2006-2018 Patrice Guinard