CORPUS NOSTRADAMUS 90 -- par Patrice Guinard

L'organisation des premières éditions des Prophéties et le chiffrement des dates des deux préfaces
 

"Vous (en) prendrez en guise de figues de prophetie. Car nous avons esperance que les ayant avallees, vous nous appellerez non seulement bons Medecins, mais aussi prophetes."

Nostradamus a prévu que des esprits chicaneurs et spirituellement limités finiraient par remettre en cause l'authenticité de ses Prophéties. Aux temps de l'adversité et de la réprobation (Couillard, Videl, Bèze, etc), de l'imitation et du plagiat (NOstradamus le jeune, Crespin Archidamus, Florent de Crox, Coloni, etc), de la falsification et de la reconstruction du corpus centurique entre 1588 et 1650, puis de l'indifférence des siècles suivants, succède désormais celui du soupçon, voire de la mystification. Parce que l'ignorance du sujet est endémique depuis plusieurs siècles, parce que la critique philologique est quasi nulle en université et dans les officines apparentées, certain drôle iconoclaste, attardé dans une conception rationaliste étriquée, a su exploiter la disparition de quelques textes et les déficiences de la critique. Parce que les bibliographes spécialisés (Klinckowstroem, Chomarat/Laroche, Benazra, et même Ruzo) se sont contentés de reproduire les titres et intitulés sans s'interroger sur leur fonction, leurs conséquences, leur organisation, et les liens unissant les éditions entre elles, la brèche était ouverte pour que s'y engouffrent des spéculations révisionnistes. Mais pour espérer succéder aux maîtres du révisionnisme culturel (par exemple au russe Anatoly Fomenko qui prétend que le Christ a vécu au XIIe siècle et que l'ensemble de la littérature gréco-romaine est une invention de lettrés médiévaux), encore faudrait-il être en mesure de fournir une tout autre argumentation que du bricolage sans incidence sur des éditions tardives, ou des amalgames farfelus ignorant le contexte de parution des éditions examinées, sans distinguer ce qui relève du sérieux de ce qui est le produit de la parodie et du commerce. Cette farce nostradamique, rachitique eu égard à l'envergure du canular russe, continue à faire des vaguelettes sur les blogs et forums internet livrés à l'opinion de béjaunes qui n'ont pas pris la peine de consulter l'ensemble du corpus, malgré les études que j'ai consacrées à la cinquantaine d'éditions parues entre 1555 et 1615.
 

L'authenticité des premières éditions : le dédoublement des textes

Nostradamus a imaginé plusieurs stratagèmes pour déjouer les tentatives de falsification ultérieure de ses textes, à commencer par le dédoublement des impressions. Les premières éditions des Prophéties sont parues à Lyon en 1555 chez Macé Bonhomme, et en 1557 puis 1558 chez Antoine du Rosne -- cette dernière édition étant introuvable. Elles sont publiées en trois fois et en deux livres séparés -- les 353 quatrains de l'édition Bonhomme ayant été intégrés dans l'édition Du Rosne de 1557.

Mais ces éditions de 1555, 1557 et 1558 ont elles-mêmes été redoublées. Un retirage de l'édition Bonhomme du 4 mai 1555 paraît peu de temps après et porte la même date d'achevé d'imprimer. Quelques quatrains ont été retouchés, mais la préface est volontairement laissée à l'identique. Les éditions Du Rosne des Prophéties, deux en 1557 (premier livre), une en 1558 (second livre), sont couplées les mêmes années de parution avec une traduction par Nostradamus d'un traité de Galien. Le style de ce traité est nostradamien, exagérément amphigourique. La vignette au frontispice est la même que celle parue dans l'édition des Prophéties de 1557, et probablement de 1558 (cf. CN 27).

L'existence de deux éditeurs, de trois livraisons pour deux livres de centuries, chacun accompagné d'une épître-préface (l'une à son fils qui venait de naître, l'autre au roi de France qui allait mourir), et du dédoublement de ces éditions par des textes témoins, a pu inciter le pamphlétaire de 1558 à qualifier l'organisateur du dispositif de "triboulet a triple marotte" ou de "vray fol a double rebras." (Le monstre d'abus, f.B4v, cf. CN 76).
 

L'authenticité des premières éditions : le matériel iconographique et les données orthotypographiques

Je renvoie ici à mes études consacrées à ces questions (cf. CN 26, 27, 31 et 71). Parmi les quatre tirages retrouvés des éditions Benoist Rigaud datées de 1568, seule l'édition X, la plus ancienne, orthographie "cents" dans l'expression "Dont il en y à trois cents qui n'ont encores iamais esté imprimées" portée au frontispice de l'édition lyonnaise de 1557 (cf. CN 38). Mais aucune des éditions Rigaud ne reprend l'inversion des pronoms adverbiaux, ni l'accentuation de l'auxiliaire.

Or cette accentuation, présente dans de nombreux autres passages de la préface, est une marque typographique de Lyserot, sa signature en quelque sorte. Elle constitue une preuve irréfutable de l'authenticité des éditions Du Rosne alias Lyserot (cf. Baudrier 1, 1895, p.388), celles de la Paraphrase de Galien, comme celles des Prophéties, publiées aux mêmes dates.

Par exemple, dans la Remonstrance faicte aux trois Estatz, du pays & duché de Savoye & Bresse, touchant la guerre qui est audict pays, un acte royal signé Laubespine (Antoine du Rosne, 1557), l'adjectif numéral est orthographié "cents" et l'auxiliaire "avoir" est systématiquement accentué à la troisième personne :

"certain mandement, que le prince Emanuel Philibert de Savoye, à indiscrettement & temerairement envoyé semer esdictz pays" (f.A2v)
"quatre ou cinq cents chevaulx, qu'il à faict ramasser" (f.A3v)
"les brigans, qu'il à envoyé par dela" (f.A4v)
"un peu d'heur que Dieu à donné ces jours passez a son maistre" (f."D"1r)

Deux éditions tardives (Rouen 1589 et Anvers 1590) reprennent l'inversion pronominale au frontispice, mais pas l'accentuation de l'auxiliaire, ni au titre, ni dans le texte, et l'édition Chevillot (c. 1615) qui répète l'accentuation de l'auxiliaire au titre, ne la reproduit pas dans le texte (cf. CN 70 et 31).
 

L'authenticité des premières éditions : leur incomplétude calculée

Des mentions spécifiques apparaissant dans les trois éditions de 1555, 1557 et 1558 semblent contredire l'incomplétude apparente des centuries. Ce stratagème, imaginé par Nostradamus pour déjouer les tentatives de fraude, est la marque structurelle de l'authenticité de ces éditions.

"j'ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties" (éd. 1555, Préface, § 26, cf. CN 33).
Or la quatrième centurie ne contient que 53 quatrains, mais Nostradamus précise : "lesquelles j'ay un peu voulu raboter obscurement" (ibid.) -- une mention qui s'applique non seulement à la centurie IV dans le cas présent, mais aussi à la centurie VII.

"Dont il en y à trois cents qui n'ont encores iamais esté imprimées" (éd. 1557, frontispice)
Or l'édition de 1557 n'ajoute que 289 quatrains à la précédente.

"ces trois Centuries du restant de mes propheties, parachevant la miliade" (éd. 1558, Préface ; p.4 de l'édition Rigaud de 1568)
Or le total de quatrains des dix centuries n'est que de 942.

Comment les faussaires supposés -- mais redisons ici qu'il ne s'agit que d'un canular -- auraient ils pu inventer de telles mentions en contradiction avec un nombre de quatrains qui n'atteint jamais le millier ? Et les auteurs et commanditaires des sizains controuvés, dont 58 sont ajoutés dans les éditions Chevillot après l'assassinat de Henry IV, n'ont pas même réussi à en faire des quatrains, ni même osé les insérer à la suite de la centurie VII !
 

Une preuve de l'existence du second livre des Prophéties avant 1563

J'ai montré que le quatrain VIII-60 était attesté dans un ouvrage ligueur écrit entre l'assassinat du duc de Guise et celui de Henry III (entre décembre 1588 et août 1589), Contre les fausses allegations que les plus qu'Achitofels, Conseillers Cabinalistes, proposent pour excuser Henry le meurtrier de l'assassinat par luy perfidement commis en la personne du tresillustre Duc de Guise, au moment où paraissaient à Paris des éditions facétieuses amputant le corpus centurique de plus de trois centuries (cf. CN 70).

Certains continuent à douter de l'existence de l'édition lyonnaise de 1558 et à ignorer les trois dernières centuries supposées posthumes, tout en donnant une version de la première épître-préface d'après une édition Rigaud imprimée vers 1571 (par exemple un Bruno Petey-Girard en 2003) !

Prenons le quatrain IX-44 : "Déguerpissez de Genève, tirez-vous de là, ou vous y serez exterminés". Ce n'est pas là un propos qui s'adresse à un auditoire des années ligueuses, ni qui soit particulièrement favorable à la cause protestante. L'avertissement n'aura pas échappé à la perspicacité des partisans de la cause évangélique, par profession les meilleurs philologues de ce temps-là.

C'est ainsi qu'au début des années 1560, au cours de la fameuse querelle opposant Ronsard, fervent admirateur de Nostradamus, aux ministres calvinistes, se trouve le joyau suivant. En juillet 1563, le jeune et brillant Jacques Grévin (1538-1570), poète et médecin, entre dans la querelle contre Ronsard, autrefois son ancien ami et protecteur, mais que leurs engagements religieux respectifs opposent désormais. En épilogue à sa diatribe contre le poète royal, Grévin salue le "pauvre patient Messire Pierre de Ronsard" mis à la diète par de "bons & fidelles Medecins" qui lui prodiguent divers conseils et remèdes contre la syphilis. Parmi ces derniers, des pilules : "lesquelles vous prendrez en guise de figues de prophetie. Car nous avons esperance que les ayant avallees, vous nous appellerez non seulement bons Medecins, mais aussi prophetes." (in Le Temple de Ronsard où la legende de sa vie est briefvement descrite, [Orléans, Eloy Gibier], 1563, f.B2v).
 
Texte du quatrain IX 44

(édition X, Rigaud, 1568)

Migres migre de Genesve trestous,
Saturne d'or en fer se changera,
Le contre RAYPOZ exterminera tous,
Avant l'a ruent le ciel sigues fera.

 

L'écrit satirique fait visiblement allusion au quatrième vers du quatrain IX 44 qui avait chatouillé la susceptibilité des calvinistes (cf. CN 110 pour l'explication de ce quatrain relatif à la condamnation de Michel Servet à Genève). Or dans l'édition "X" de Benoist Rigaud, datée de 1568, la version la plus proche du texte de 1558, figure pour ce quatrain, une accumulation d'erreurs typographiques, et en particulier au quatrième vers : "Avant l'a ruent [sic] le ciel sigues [sic] fera" pour "Avant l'advent le ciel signes fera". L'erreur typographique "figues" pour "signes" devait figurer dans l'édition de 1558 : elle a été partiellement corrigée dans la première édition Rigaud, et totalement dans les suivantes (cf. CN 87). Par l'ordonnance "vous [en] prendrez en guise de figues de prophetie", Grévin se gausse de Ronsard et de Nostradamus, via une faute typographique ayant existé dans une édition qui ne peut qu'avoir été imprimée avant 1563.

090A Le Temple de Ronsard où la legende de sa vie est briefvement descrite [Orléans, Eloy Gibier], 1563

L'identification de l'imprimeur de l'ouvrage a été établie par Eugénie Droz (Chemins de l'hérésie, vol. 4, 1976, p.109 sq. ; cf. image in CN 60). Pour le commentateur du texte Jacques Pineaux (La polémique protestante contre Ronsard, Paris, Marcel Didier, 1973, p.317), qui l'attribue à Florent Chrestien, il s'agit d'une "expression obscure" -- et pour cause ! -- que le dit Chrestien aurait "laissé passer [sic] sans la corriger" dans une édition postérieure (1564) ! -- Pourquoi supposer qu'il faille corriger un texte quand on s'avère incapable d'en comprendre les allusions ? ... Brind'Amour abuse de ce procédé dans son édition critique des premières centuries (cf. aussi mes remarques sur l'édition 2005 des Satyres Chrestiennes de la cuisine Papale, CN 23).
 

Le chiffrement des dates-clés des deux préfaces

Note : C'est entre les 22 et 27 avril derniers que j'ai découvert les maillons qui me manquaient pour le déchiffrement des dates dans les deux épîtres qui accompagnent les quatrains versifiées des centuries de Nostradamus.
 

1. La date du décès du roi Henry

J'ai montré, après Daniel Ruzo (1962), que le Testament de Nostradamus, déposé devant témoins le 17 juin 1566 chez son notaire Joseph Roche, faisait apparaître les nombres 3, 11, 13 et 22 (cf. CN 177). Mais le nostradamiste péruvien est bien loin d'avoir tiré toutes les conséquences de son observation. En effet des combinaisons triviales entre ces nombres permettent d'obtenir le nombre de nouveaux quatrains présents dans chacune des trois éditions successives de son texte (1555, 1557, 1558) :

353 (quatrains de l'édition de 1555) + 300 (quatrains de l'édition de 1558) = (13 × 13) + (22 × 22)
289 (quatrains inédits de l'édition Du Rosne de septembre 1557) = (13 × 22) + 3.

Les nombres de quatrains des différentes éditions ont aussi été choisis en rapport avec les cycles historiques de Roussat (354 ans, 240 ans et 300 ans) avec quelques décalages que j'ai expliqués (cf. "Les Nombres du Testament comme fils d'Ariane au Corpus nostradamien").

Mais ils sont utilisés par Nostradamus en d'autres occasions, et notamment pour montrer qu'il connaissait la date exacte du décès du roi Henry II, et pas seulement son destin tragique, annoncé à mots couverts au quatrain I 35 et dans les indications annexes de son Almanach pour l'an 1557 : "En ce moys [de juin 1558] la France sera [fera] perte par quelques Princes estrangiers, par la mort inopinée, & d'estrange langue qui seront grandement a plaindre. Par les hebdomades de Democrite en met un sub ariete [sous le signe du Bélier], zoroastre le met a 1559 puis felicité." (cf. CN 51).

Nostradamus, qui a vécu la plus grande partie de sa vie sous François Ier, a dû être impressionné par la mort accidentelle de son fils dans des circonstances extraordinaires, d'autant plus que la mort signe l'existence d'un homme et lui donne un sens, comme l'estime Montaigne dans ses Essais, et que l'éternel recommencement du spectacle politique n'a plus les mêmes attraits passé la cinquantaine, voire la quarantaine, que pour un esprit en formation. Et les aléas des conflits de pouvoir et les illusions de puissance ont un goût insipide pour tout homme de connaissance.

Nostradamus n'a pas choisi au hasard les dates et périodes de ses préfaces. Son ingéniosité voire son intelligence surclassent celle de ses ennemis de l'époque (dont certains ont commencé à comprendre l'enjeu du projet prophétique, notamment le pseudo Daguenière et les responsables de l'édition Regnault de 1561 : cf. CN 76, et CN 25 et 65), et plus encore celle de leurs successeurs modernes, sceptiques, mystificateurs, handicapés cérébraux ou railleurs ignorants, qui ne leur arrivent pas "à la cheville". Et à parcourir certains débats sur les forums internet, force est de constater que l'idiotie de la (pseudo)-critique moderne semble incommensurable, exponentielle, incurable, voire définitive.

Résumons les principales dates des premières et authentiques éditions des Prophéties.

1er mars 1555 : datation de la préface à César
177 ans 3 mois 11 jours : période donnée dans la préface à César (cf. CN 33)

27 juin 1558 : datation de la préface à Henry
14 mars 1557 : date interne de composition de la préface à Henry ("depuis le temps present, qui est le quatorziesme de Mars 1557")

Une première observation, somme toute triviale mais que je ne crois pas avoir lue nulle part, est que la préface en apparence destinée au fils du prophète, comme celle en apparence destinée au roi de France, sont datées d'environ un an, l'une après la naissance de César, l'autre avant le décès du roi.

18 décembre 1553 : naissance de César de Nostredame
10 juillet 1559 : décès de Henry II

Mais plus précisément, la préface à César est datée d'1 an, 2 mois et 11 jours après sa naissance, celle à Henry d'1 an et 13 jours avant son décès, comme sont séparées d'1 an et 13 jours la datation de la préface à César (1er mars 1555) de la date interne de composition de la préface à Henry (14 mars 1557). Réapparaissent ainsi les nombres du Testament mis en évidence à d'autres occasions : 11, 13 et 22 (= 2 "mois" × 11 jours).

Les aveugles et les sceptiques outragés de la confédération anti-nostradamique diront : "encore un effet du hasard ..." -- mais même dans cette hypothèse, il faudra reconnaître que le "hasard" porte bien mal son nom --, "... ou un effet de l'ingéniosité de Patrice Guinard" ...

Poursuivons. La date interne de la préface à Henry, le 14 mars 1557 (dont aucun exégète n'a proposé d'explication) précède la date de la préface d'exactement 1 an 3 mois 13 jours. Cette troisième période confirme le dispositif mis en place, et prouve que le prétendu hasard n'y a rien à faire. Ainsi Nostradamus s'est servi de la date de naissance de son fils aîné et des nombres 3, 11, 13 et 22 de son Testament, pour indiquer qu'il connaissait avant 1555 le jour précis du futur décès du roi de France.
 

2. Le jeu sur les calendriers

J'ai montré que la période de "177 ans 3 mois et 11 jours", restée lettre morte pour tous les exégètes à commencer par Brind'Amour, annonçait à la fois l'échéance la plus importante de l'ensemble de son oeuvre, à savoir l'année 2065 -- sur laquelle je reviendrai car les ruses de Nostradamus sont "à double rebras" comme l'a compris le pseudo Daguenière --, et sa connaissance des réformes calendaires de 1563-1567 et 1582 (cf. Préface à César, 34, CN 33).

Cette période (qui contient elle aussi les nombres 3 et 11) montre que les deux calendriers lui sont connus, celui qui commence à Pâques (dit ancien style) et celui qui commence en janvier. La datation de la première épître (1er mars 1555) précède de deux mois et trois jours l'achever d'imprimer des éditions de 1555 (4 mai 1555), et la date interne de composition de la seconde épître précéderait d'un an 3 mois et 13 jours sa datation.

En 1555 comme en 1557, le lundi de Pâques qui détermine le début de l'année, tombe en avril, respectivement les 15 et 19 avril. Il est peu vraisemblable que Nostradamus ait mis plus d'un an à composer sa seconde préface, mais plus probable qu'il ait voulu s'exprimer dans les deux styles de calendrier : en nouveau style en 1555 et en ancien style en "1557" [= 1558] : c'est-à-dire que la date interne de composition de la seconde épître est effectivement le 14 mars 1558.

Comment en serait autrement, puisque la première édition Du Rosne, datée de septembre 1557, précède logiquement l'édition introuvable de 1558 (reproduite par les éditions Rigaud datées de 1568), qui donne le second volet du corpus centurique accompagné de la seconde préface ?
 

3. Les dates des achevés d'imprimer

La période de "177 ans 3 mois et 11 jours" vaut approximativement la moitié du cycle historique que Roussat a trouvé chez Pierre Turrel et ses prédécesseurs (354 ans 4 mois). L'observation est triviale. Mais ici comme ailleurs, Nostradamus ne suit que partiellement ses modèles : il aura remarqué que l'écart de temps séparant la naissance de son fils du décès du souverain (des dates qui lui sont imposées par les faits) est de 5 ans 6 mois et 22 jours, et que la fraction de cette durée, à savoir 6 mois et 22 jours valait exactement le double du reliquat du cycle précédemment évoqué.

Il ne lui restait donc qu'à marquer d'une façon ou d'une autre les nombres étrangers à ceux qu'il a consigné dans son Testament, à savoir 5 et 177, ce qu'il a vraisemblablement fait avec la complicité de ses éditeurs, ou tout au moins avec l'un d'entre eux, à savoir Antoine du Rosne dit Lyserot, responsable des impressions de 1557 et 1558, celles des Prophéties comme de la Paraphrase de Galien (cf. CN 27). Il n'est pas certain qu'il ait pu influencer la date de l'achevé d'imprimer des éditions Bonhomme, mais il est vraisemblable qu'il ait exigé d'Antoine du Rosne, son imprimeur pour les textes de 1557 et 1558, d'apposer la date sollicitée pour les achevés d'imprimer. Cette complicité entre Nostradamus et Lyserot expliquerait pourquoi Nostradamus, alors à l'apogée de sa gloire en 1557, aurait sollicité les services d'un imprimeur en qui il avait une totale confiance, comme en témoigne un acte notarié daté du 11 novembre 1553 (cf. CN 8), plutôt que ceux d'un imprimeur plus prestigieux.

Examinons ces dates.

4 mai 1555 : Achevé d'imprimer des deux éditions Bonhomme de 1555
6 septembre 1557 : Achevé d'imprimer de la 1e édition Lyserot de 1557

Entre les deux achevés d'imprimer s'inscrit une durée de 2 ans 4 mois et 2 jours (indiquant la seconde livraison du corpus centurique en 1557), exactement égale à 2 ans et 125 jours (125 étant égal à 5 élevé au cube, soit 5 × 5 × 5). Je ne tiens pas compte de la seconde édition "Lyserot" du 3 novembre parce qu'elle ne porte aucune indication d'année (ce qui indiquerait son exclusion du dispositif).

Et entre le 14 mars 1557, la fameuse date interne de la rédaction de l'épître à Henry, et le 6 septembre 1557 s'écoule une période de 177 jours exactement. La boucle est fermée, et les nombres 5 et 177 s'inscrivent eux-aussi logiquement dans le dispositif, ce qui permet en passant de comprendre pourquoi Nostradamus utilise en ce cas le style de Pâques, et non le nouveau calendrier comme il le fait habituellement, en avance sur tous ses contemporains, dans ses publications annuelles.

[Notons encore cette heureuse coïncidence : la troisième mouture des Prophéties dédiée au roi Henry dont Nostradamus prévoit précisément le jour du décès en l'an 59, est illustrée par l'équation triviale : 177 = 3 × 59]
 

4. Tableau récapitulatif du chiffrement des dates des Prophéties

Je marque en italiques les événements factuels, point de départ du dispositif, et vecteurs de l'intention cryptographique de Nostradamus. Pour la date de l'achevé d'imprimer des éditions Bonhomme de 1555, le débat reste ouvert, encore que l'achevé d'imprimer du retirage, vraisemblablement paru quelques jours après la première impression mais indiquant la même date que la première impression, laisse entendre qu'on est là encore en présence d'une date symbolique et cryptée.
 
 
événement
date
écart avec la date précédente
naissance de César de Nostredame 18 décembre 1553 ---
datation de la préface à César 1er mars 1555 1 an 2 mois 11 jours
achevé d'imprimer (Bonhomme, 1555) 4 mai 1555 2 mois 3 jours
achevé d'imprimer (Lyserot, 1557) 6 septembre 1557 2 ans 125 jours (= 5 × 5 × 5)
composition de la préface à Henry 14 mars 1557 [1558] - 177 jours [du 14 mars au 6 septembre inclus]
datation de la préface à Henry 27 juin 1558 (1 an) 3 mois 13 jours
décès de Henry II  10 juillet 1559 1 an 13 jours
Et entre les 1er mars 1555 et 14 mars 1557 :   2 ans 13 jours
nombres du Testament (cf. Ruzo, Guinard) 3, 11, 13, [22] (en gras et bleu)
période clef (préface à César, # 34) 177 ans 3 mois et 11 jours (= environ la moitié du cycle de Turrel-Roussat)
période totale du dispositif 5 ans et 2 × (3 mois et 11 jours) (de la naissance de César à la mort de Henry)

[Précision sur la méthode utilisée : le décompte se fait du quantième d'un mois au même quantième du mois suivant, auxquels mois décomptés s'ajoutent les jours restants.
Par exemple du 18 décembre 1553 au 10 juillet 1559 : 5 ans, plus 6 mois du 18 décembre 1558 au 18 juin 1559, plus 22 jours du 18 juin 1559 au 10 juillet 1559].

En conclusion et en raison de la cohésion de ce dispositif, il est probable que la fameuse édition perdue des Prophéties (Du Rosne, 1558) ne mentionnait aucune date d'achevé d'imprimer, à l'instar par ailleurs des deux impressions de la Paraphrase de Galien.

Avignon, 9 mai 2008
 

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Patrice Guinard: L'organisation des premières éditions des Prophéties
et le chiffrement des dates des deux préfaces

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09-05-2008 ; updated 12-05-2018
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