CORPUS NOSTRADAMUS 65 -- par Patrice Guinard
 

L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589
 

"Dans leur majorité, les faux littéraires, comme les faux artistiques, ne sont pas de pures créations : ce sont des imitations libres, presque des pastiches, ou bien encore un cadre rococo où des fragments originaux reçoivent un nouvel agencement." (Anthony Grafton, Faussaires et critiques, 1993, p.71)
 

1. Les éditions ligueuses des années 88-90

Profitant du chaos politique et de la déliquescence de l'autorité royale, précédant et faisant suite aux assassinats de Henry de Guise puis de Henry III, sont parues à la fin des années 80 des éditions tronquées des Prophéties de Nostradamus, d'abord à Paris, puis à Rouen et Anvers, après vingt ans de tirages ininterrompus des éditions lyonnaises Benoist Rigaud. Dans de précédentes études, j'ai montré que les authentiques éditions Benoist Rigaud, celles aux exemplaires encore accessibles ou celles qui ont fait l'objet d'une description précise en catalogue, sont parues dès 1568, puis continûment jusqu'au début des années 90, et avancé qu'elles pouvaient être approximativement datées des années 1568, 1571, 1572, 1574, 1578, 1580, 1591 et 1593 (cf. CN 38, 39 & 40).

Les nouvelles éditions parisiennes rompent le monopole Rigaud probablement sans permission ni privilège. Il n'en était pas besoin au temps où les ligueurs tenaient Paris à la barbe du pouvoir royal. Denis Pallier note que "dès l'année 1587 plus d'un tiers des pièces publiées à Paris se passent d'autorisation et de privilège." (Recherches, 1975, p.67) -- ajoutant que "des imprimeurs comme Morel, la veuve Roffet se targuent pendant toute la Ligue de leur privilège d'imprimeur du Roi, ou de privilèges antérieurs, pour se dispenser de toute autre permission." (ibid., p.72). Peu prisées par les bibliophiles, probablement peu diffusées, les éditions ligueuses n'apparaissent que tardivement dans les catalogues de vente : je n'en ai rencontré qu'une et une seule fois parmi plus de 1250 catalogues consultés (cf. CN 66), et dans un catalogue tardif, un catalogue du libraire Potier (1870). Les six principales éditions "ligueuses" recensées sont les suivantes :

Paris, Veuve Nicolas Roffet, 1588
Rouen, Raphaël du Petit Val, 1588
Paris, Charles Roger, 1589
Rouen, Raphaël du Petit Val, 1589
Paris, Pierre Ménier, 1589
Anvers, François de Saint Jaure, 1590

Les centuries VIII à X sont exclues des éditions ligueuses, car elles ont pu apparaître comme un peu trop favorables aux Protestants et au destin de la maison des Bourbons. A la fin des années 80, un certain nombre de villes sont contrôlées par la Ligue, et en particulier Paris, Rouen, et Anvers, ville espagnole, sujette à l'autorité de l'Empereur. Cependant le projet d'édition n'est pas le même à Rouen et à Anvers, qu'à Paris. Dans les villes du Nord, on réhabilite une édition avignonnaise antidatée. A Paris on va rechercher la contrefaçon parisienne Barbe Regnault parue en 1561 dans un contexte politique troublé (cf. CN 25).
 

2. L'édition Barbe Regnault de 1561

Dans ma bibliographie des premières éditions des Prophéties, j'ai montré que l'édition parisienne Barbe Regnault, dont l'existence a été mise en doute par certains, avait effectivement été imprimée à la date indiquée in fine, à savoir 1561 (cf.CN 25, 025N). En témoignent:

C'est sur cette édition, tronquée d'environ trois centuries, qu'a été établi le texte des éditions parisiennes de 1588-1589 (Roffet, Roger, Ménier), et l'analyse comparative de ces versions indique que le texte parisien Regnault-Roffet-Ménier-Roger est assez proche de la version lyonnaise Antoine du Rosne de novembre 1557 (cf. CN 71). Une marque de séparation introduite après le quatrain IV 53, "adjoustees outre les precedentes impressions" (au folio F1r des éditions de 1588-1589), confirme l'existence de l'édition lyonnaise Bonhomme de 1555. L'édition Regnault, comme probablement l'édition mise au nom de la veuve Buffet et datée de 1561, ne comportait que 583 quatrains avec 71 à la sixième et 12 à la septième.
 

3. L'édition Jeanne Le Roy (veuve Roffet) de 1588

065A Les Propheties de M. Michel Nostradamus
Dont il y en a trois cens qui n'ont encores esté imprimees, lesquels [sic] sont en ceste presente edition.
Reveues & additionnees par l'Autheur, pour l'An mil cinq cens soixante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie

Paris, veufve Nicolas Roffet, sur le Pont sainct Michel, à la Rose blanche. Jouxte la coppie imprimee, l'an 1557
1588, in-16, 64 ff.

- Hohlenberg, 1918, n.10
- Thomas, 1924, p.327
- Leoni, 1961, p.80
- Ruzo, n.41, p.356
- Chomarat, n.142
- Benazra, n.19, p.118
- Brind'Amour, 1996, p.545 ("Rosset" !)

° British Library, London: 711.a.16 (frontispice en partie arraché)
° BM Toulouse: Rés D XVI 677 (disparu entre 1984 et 1989 environ ; ex libris de l'érudit florentin Jacopo Corbinelli (1535-ca.1590) puis d'un Broqua)
° Microfilm Ann Arbor University, Michigan (disponible sur Gallica, sans le frontispice)

Les éditions parisiennes ont rajouté 6 quatrains controuvés aux éditions de 1561, pour un total de 589 quatrains, et non plus de 583. Elles comptent donc environ six centuries fortement altérées, pour un total de 589 quatrains (soit 571 quatrains + 12 + 6), lesquels valent exactement les 642 quatrains de l'édition Antoine du Rosne de 1557 (exemplaire d'Utrecht), plus les 300 quatrains de l'édition de 1558 (cf. CN 25, n.7), moins les 353 quatrains de l'édition de 1555, ce qui prouve que les imprimeurs ou chargés d'édition parisiens connaissaient la parution en trois volets initiaux des Prophéties, ceux des éditions lyonnaises de 1555, 1557 et 1558.

Les éditions ligueuses parisiennes à 589 quatrains (Roffet, Roger, Ménier) sont parues en 1588 et 1589, et l'ingénieux dispositif de ces éditions a été mis en place durant ces années 1588-1589. Il faut sans doute soustraire le quatrain "VII 72" (non numéroté) aux 589 quatrains numérotés pour obtenir l'année de la première édition ligueuse : 1588. Ainsi l'organisation des 588/589 quatrains présentés dans ces éditions résulterait d'un arrangement concerté. Il en résulte que le contenu de la contrefaçon parisienne Regnault de 1561, sur laquelle elles s'articulent, était probablement différent de celui de ces éditions. Les contrefacteurs parisiens avaient saisi l'esprit des dispositifs numérologiques initialement mis en place par Nostradamus lui-même, et en avaient compris les intentions, beaucoup mieux que ne sauraient le faire ses interprètes modernes, non ressortis de l'obscurantisme rationalisant des siècles passés. Et enfin, contrairement à ce qui a été écrit ou suggéré, il en résulte que je n'ai pas inventé ces agencements numérologiques des différentes éditions des Prophéties, mais qu'ils existent, hors de mon imagination, ayant attendu presque cinq siècles qu'ils fussent dévoilés.
 
Nostradamus, Prophéties, Paris, veuve Nicolas Roffet, 1588 Nostradamus, Prophéties, Paris, veuve Nicolas Roffet, 1588, f.F1r

Nicolas Roffet (et non Rosset) héritera de la Rose blanche, l'enseigne de Jean Dallier, éditeur d'Antoine Couillard (sur la famille Roffet, cf. CN 49). Sa veuve, née Jeanne Le Roy, exerce comme libraire de la mort de son mari en 1581 jusqu'à la sienne en octobre 1628. Elle adopte la devise "Ut rosa inter spinas" et fait imprimer quelques ouvrages favorables à la Ligue en 1587-1589 (Renouard 1926, Pallier 1975, p.488).

L'erreur de Ruzo dans la transcription du frontispice, "sur la Porte sainct Michel", est recopiée sans sourciller par Chomarat, Benazra et Brind'Amour dans leurs ouvrages respectifs. La boutique d'Estienne Roffet, Nicolle Pléau, Jean Dallier, Nicolas Roffet et Jeanne Le Roy était située sur le pont, comme l'illustre encore une estampe du XVIIIe siècle. En bas à gauche du bois gravé en page de titre, on notera la présence de la croix de Lorraine, repérée au même endroit dans des almanachs et pronostications de Barbe Regnault et de son gendre Thibault Bessault du début des années 60 (cf. CN 55).

La croix de Lorraine à double traverse apparaît déjà au verso du double denier de billon, une pièce frappée pour le duc de Lorraine René II (1473-1508), grand-père du héros du siège de Calais, François de Guise (1519-1563). Elle deviendra l'un des signes identitaires des partisans de la maison de Lorraine, puis de la Ligue. Denise Turrel s'appuie sur un recensement très partiel de Denis Pallier (1975) pour affirmer que "La croix de Lorraine fait son apparition sur les imprimés ligueurs à partir de 1589" (Le blanc de France, 2005, p.149). C'est méconnaître l'édition Roffet de 1588, comme les opuscules Regnault datés du début des années 60.
 

René II de Lorraine, double denier de billon

Peut-on considérer l'ensemble de la production Regnault comme des faux antidatés parus à la fin des années 80 ou au début des années 90 ? C'est peu vraisemblable pour de multiples raisons. Prenons l'exemple de l'almanach Regnault pour 1563. La publication de cet almanach controuvé, dédié à François de Guise (lequel venait de décéder le 18 février 1563), n'aurait pas eu les mêmes enjeux, ni le même intérêt, en 1588 qu'il en avait en 1563. En outre la parution en 1563 de cet almanach, lequel mélange des quatrains issus d'almanachs parus les années précédentes, est attestée par la publication de sa traduction anglaise -- ce sont les mêmes quatrains qui ont été traduits -- , elle-même attestée dans le registre de la Stationers' Company de Londres, entre le 22 juillet 1562 et le 22 juillet 1563 (cf. Arber, 1875, p.201).

Autrement dit, les éditeurs parisiens auraient dû imprimer ou faire imprimer, sans enjeu véritable, une série de faux almanachs, des publications par ailleurs beaucoup plus nombreuses que celles qui nous sont parvenues, mais aussi toute une série de traductions imprimées dans la tradition anglaise pour ce genre de publications ! Ce scénario n'est pas même invraisemblable : il est impossible ; et l'on peut sourire aux élucubrations échafaudées par un Halbronn et autres rêveurs de complots d'éditeurs et d'imprimeurs qui auraient antidaté la plupart des éditions des textes de Nostradamus, ceux qui sont donnés pour authentiques comme ceux qui ont été falsifiés pour des raisons évidentes, en s'accaparant du matériel et des marques d'imprimerie de nombreux imprimeurs, qu'ils soient lyonnais, parisiens ou londoniens -- sans oublier qu'il faudrait encore admettre que certains registres, certaines oeuvres contemporaines, et un bon nombre de témoignages relatifs aux textes de Nostradamus aient aussi été trafiqués ! (cf. les textes d'Elmar Gruber : Reconsidering the "Nostradamus Plot", CURA, 2003, et "Forgery and Fallacy in Nostradamus", Ramkat, 2003). La principale qualité de l'expert en bibliographie n'est pas tant de dénoncer des faux un peu partout, que de savoir distinguer la copie de l'original.

Composition de l'édition Roffet :
   - feuillet A1r : frontispice (vignette)
   - feuillet A1v : blanc
   - feuillets A2r-A7r : préface à César datée du 1er mars 1557 (au lieu de 1555)
   - feuillets A7v-E8v : quatrains I 1 à IV 53
   - feuillets F1r-H5v : quatrains IV 54 à VI 71 (Propheties "adjoustees outre les precedentes impressions")
   - feuillets H6r-H7r : quatrains d'une prétendue "Centurie septiesme", du 72e (non numéroté) au 83e (Propheties "ADjoustees nouvellement")
   - feuillets H7v-H8r : six quatrains d'une prétendue "Centurie huictiesme"
   - feuillet H8v : blanc
 

Prophéties, Paris, Roffet, 1588, préface, f.A4r Prophéties, Paris, Roffet, 1588, préface, f.A7r
Roffet, 1588, T, f.A2r Roffet, 1588, E, f.A7v

Les éditions parisiennes sont des éditions facétieuses et bâclées (cf. dans l'édition Roffet la faute d'accord au sous-titre ("lesquels"), l'absence de numérotation pour les quatrains I 82, IV 54 et IV 99, la mention "quarte" en haut de page pour la cinquième centurie (à trois reprises), etc). Les imprimeurs de ces éditions, ou leurs commanditaires, passent allègrement du quatrain 71 de la centurie VI au quatrain 72 (non numéroté) de la centurie suivante !

Les quatrains "VII 73" à "VII 83" n'appartiennent pas aux Prophéties, mais à l'Almanach pour 1561 dont la veuve Barbe Regnault venait de donner sa version contrefaite (cf. catalogue Ruzo-Swann, 2007, n.15, [p.10]). Ce sont les quatrains pour février à décembre de cette année-là, mais l'ordre des vers (A-B-C-D) des quatrains pour février, octobre, novembre et décembre a été inversé (C-D-A-B).

Jusqu'à présent, on n'avait pas compris la raison de l'inclusion de quatrains de l'almanach dans une édition des Prophéties, si ce n'est qu'on pouvait s'attendre à tout avec la veuve Regnault. Grâce à la redécouverte de l'almanach Regnault, dont Daniel Ruzo possédait un exemplaire (acquis en avril 2007 par la Maison Nostradamus de Salon pour environ sept mille dollars, grâce au legs financier du donateur allemand Hans Georg Buddrus), on sait que cet almanach Regnault ne contient pas de quatrains. La veuve aura fait imprimer sa contrefaçon dans la précipitation, peut-être avant même la sortie de l'almanach lyonnais ou de sa réplique parisienne parue chez Guillaume Le Noir, puis inclus certains des quatrains de la version Le Noir dans son édition des Prophéties parue en janvier ou février 1561 ("1560" en page de titre, sachant que l'année civile commençait encore à Pâques).

A ces quatrains falsifiés et frauduleusement rattachés aux Prophéties, s'ajoutent six quatrains apocryphes d'une prétendue huitième centurie, que Ruzo considère, bien que d'inspiration "non prophétique", avoir vraiment été "écrits et publiés [par Nostradamus] pour servir la politique de Catherine de Médicis." (Testament, p.263). On se demande bien où ?, dans quel ouvrage ?, et à quelle occasion ? !

Seront confus plusieurs de leur entente,
Aux habitans ne sera pardonné,
Qui bien pensoient perseverer l'attente
Mais grand loisir ne leur sera donné.

Plusieurs viendront, & parleront de paix
Entre Monarques & seigneurs bien puissant
Mais ne sera accordé de si pres,
Que ne se rendent plus qu'autres obeissans.

Las quel fureur ! helas quelle pitié
Il y aura entre beaucoup de gens,
On ne veit onc une telle amitié,
Qu'auront les loups à courir diligens.

Beaucoup de gens voudront parlementer,
Aux grands seigneurs qui leur feront la guerre,
On ne voudra en rien les escouter,
Helas si Dieu n'envoye paix en terre.

Plusieurs secours viendront de tous costez,
De gens loingtains qui voudront resister,
Ils seront tout à coup bien hastez,
Mais ne pourront pour ceste heure assister.

Las quel desir ont Princes estrangers,
Garde toy bien qu'en ton pays ne vienne
Il y auroit de terribles dangers
En mains contrees, mesmes en la Vienne.

Le style narratif de ces quatrains ne ressemble en rien à celui de Nostradamus. Le cinquième est un récit sans vigueur et le sixième n'est qu'un avertissement banal dont on a perdu le contexte et les enjeux. Il est très improbable, contrairement à ce qu'imagine Ruzo, qu'ils aient été adressés par Nostradamus à la mère du jeune roi de France, car il n'aurait jamais utilisé envers elle le tutoiement familier que lui prête le contrefacteur au second vers. La présence de la conjonction "mais", propre à un style narratif ou didactique, est rare dans les quatrains des Prophéties et des Almanachs (douze fois en début de vers dans les 942 quatrains des Prophéties, soit 0.32%, et une fois seulement dans les 154 quatrains des Almanachs, soit 0.16%), alors qu'elle prolifère dans les Sixains, des pièces controuvées attribuées à Nostradamus au début du XVIIe siècle (neuf fois, soit un taux de 2.6%), et beaucoup plus encore ici même (12.5%) ! Des expressions telles que "Las quel [sic] fureur" ou "Las quel desir" n'existent pas dans les quatrains versifiés authentiques, pas plus que les injonctions commençant par "helas" (troisième et quatrième quatrains), ni les formes syntaxiques "il y aura" ou "il y auroit", lesquelles marquent par ailleurs les faibles capacités expressives des grimauds qui auront tenté d'imiter le style de l'astrophile provençal. Ce ne seront pas les premiers (cf. les imposteurs Michel Nostradamus le jeune et Antoine Crespin "dit Nostradamus" dans les années 1565-1575).

Un certain nombre de quatrains ont été supprimés et remplacés par des quatrains redoublés, dont l'ordre des vers (A-B-C-D), pour la plupart d'entre eux, a été transformé en (C-D-A-B) à l'exception des cas expressément mentionnés :

II.62 remplacé par II.28

III.18 remplacé par I.59 (A-C-D-B)
III.19 remplacé par I.61

III.33 remplacé par I.21
III.34 remplacé par I.87
III.35 remplacé par I.23
III.36 remplacé par I.64
III.38 remplacé par I.44
III.39 remplacé par I.16
III.40 remplacé par I.20
III.41 remplacé par I.83 (A-X-C-B)
III.42 remplacé par I.58

III.49 remplacé par II.27

V.16 remplacé par III.30
V.17 remplacé par II.45
V.18 remplacé par II.24
V.19 remplacé par II.40
V.20 remplacé par III.25

VI.27 remplacé par VI.30 (A-B-C-D)
VI.28 remplacé par VI.31 (A-B-C-D)
VI.29 remplacé par IV.29
VI.30 remplacé par IV.28
VI.31 remplacé par IV.31

VI.43 remplacé par IV.95
VI.44 remplacé par IV.64
VI.45 remplacé par IV.68


VI.46 remplacé par IV.67
VI.47 remplacé par IV.66
VI.48 remplacé par IV.65 (D-C-B-A)
VI.49 remplacé par V.8
VI.50 remplacé par IV.13
VI.51 remplacé par IV.14
VI.52 remplacé par IV.15
VI.53 remplacé par III.90

VI.65 remplacé par III.65
VI.66 remplacé par IV.35
VI.67 remplacé par III.71
VI.68 remplacé par IV.36
VI.69 remplacé par IV.33

VII.72 (non numéroté) remplacé par VI.31
(A-B-C-D), lui-même remplacé par IV.31

Au total, ce sont 39 quatrains numérotés, et exactement 39, qui ont subi une substitution. Ce sont 39 quatrains qui n'ont pas été "revus et additionnés par l'auteur" comme il l'est indiqué facétieusement au frontispice, mais qui ont été retranchés et remplacés par des quatrains redoublés (en réalité 38 seulement, car les quatrains VI 30 et VI 31 ont été recyclés, et le quatrain non numéroté VII 72 a lui aussi été remplacé). Nul doute qu'on ne tienne ici un indice majeur qui explique la mention mal comprise du frontispice. Ajoutons que la plupart des quatrains manquants semblent correspondre à des coupes spécifiques (les quatrains III.33 à III.42, V.16 à V.20, VI.27 à VI.31, VI.43 à VI.53 et VI.65 à VI.69), comme si des pages entières, au nombre de sept, avaient été trafiquées, lesquelles pourraient correspondre à celles des éditions parisiennes des années 1556-1559.

Le cas particulier du quatrain non numéroté VII.72, rejeté dans une section spécifique et associé aux quatrains de l'Almanach pour 1561, montre que les contrefacteurs facétieux de l'édition de 1561, n'ont pas organisé leur texte au petit bonheur, mais qu'ils ont laissé des indices visibles et évidents d'un dispositif numérologique qui, de toute évidence, semble se greffer insidieusement sur l'organisation des quatrains imaginée par Nostradamus. La seconde édition Du Rosne de 1557 ne contient-elle pas 639 quatrains, dont le dernier est numéroté VI.40 ? Ce ne sont donc pas seulement les 353, 642 et 300 quatrains des premières éditions que les contrefacteurs assurément connaissaient (cf. infra), mais aussi la seconde édition Du Rosne à 639 quatrains, ou son hypothétique réplique parisienne.

D'autres indices, qui ne sont peut-être que des coïncidences, corroborent l'idée que les contrefacteurs de ces éditions avaient quelque idée du dispositif numérologique mis en place par Nostradamus dans les parutions successives de ses Prophéties (cf. "Les pièces de l'héritage : Un dispositif de codage du nombre de quatrains prophétiques", CURA, 2003).
- En effet, si l'on additionne les nombres du premier quatrain remplacé et de son remplaçant (II 62 et II 28), à ceux des quatrains non numérotés (I 82 et IV 99), on obtient le nombre 571 (= 62 + 28 + 82 + 399), égal au nombre des quatrains de l'édition Roffet sans les nouveaux ajouts.
- Et en multipliant par deux les 286 (= 13 x 22) nouveaux quatrains de l'édition Du Rosne de 1557 (exemplaire de Budapest), on obtient le nombre 572, qui devrait correspondre au premier quatrain "ajouté nouvellement", mais qu'on a rejeté dans une prétendue septième centurie commençant par le quatrain VII.72 non numéroté.
- La somme des numéros des 12 quatrains manquants de la 3e centurie et de leurs 11 remplaçants extraits la 1e centurie, est égale à 960 (424 + 536), nombre auquel on doit ajouter l'unité (le quatrain isolé II 27 appartenant à une autre centurie). Or 961 est le carré de 31, l'inverse de 13, un nombre mis en avant par Nostradamus dans son dispositif.
 

4. L'édition Charles Roger de 1589

065B Les Propheties de M. Michel Nostradamus
Dont il y en a trois cens qui n'ont encores esté imprimees, lesquels [sic] sont en ceste presente edition.
Reveues & additionnees par l'Autheur, pour l'an mil cinq cens soixante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie

Paris, Charles Roger Imprimeur, demeurant en la court de Baviere pres la porte sainct Marcel
1589, in-16, 64 ff.

- CAT Potier (librairie), 1870, n.475, p.99
- Brunet 8, 1880, c.36 (d'après le CAT de librairie Potier, 1872)
- Klinckowstroem, 1913, n.12
- Hohlenberg, 1918, n.13
- Parker, 1920, p.130
- Leoni, 1961, p.80
- Ruzo, n.43, p.356
- Chomarat, n.146
- Benazra, n.24, p.124

° British Library, London: 8630.aa.33
 

Nostradamus, Prophéties, Charles Roger, 1589

Ce libraire-imprimeur, dont la marque était un rosier signé CR et dont la boutique était située dans la cour de l'hôtel de Bavière, a exercé entre 1576 et 1590 environ. Dans les dernières années de sa production (1589-1590), il a imprimé quelques ouvrages favorables à la Ligue (cf. Pallier, 1975, p.488). Son édition des Prophéties est très proche de la précédente. Le titre et les sous-titres de la première page sont identiques, contrairement à l'édition Ménier qui suit ("lesquelles", "Auteur", "soyxante").
 

5. L'édition Pierre Ménier de 1589

065C Les Propheties de M. Michel Nostradamus
Dont il y en a trois cens qui n'ont encores esté imprimees, lesquelles sont en ceste presente edition.
Reveues & additionnees par l'Auteur, pour l'An mil cinq cens soyxante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie

Paris, Pierrc [sic] Ménier, demeurant à la ruë d'Arras, pres la porte S. Victor
1589, in-16, 64 ff.

- Bareste, 1840, p.256
- Kellen, 1904, p.919
- Klinckowstroem, 1913, n.11
- Hohlenberg, 1918, n.12
- Parker, 1920, p.128
- Leoni, 1961, p.80
- Ruzo, n.40, p.356
- Chomarat, n.145 (confus)
- Benazra, n.22, p.123

° BnF Paris: Rés Ye 1789 (74 x 121 mm selon Klinckowstroem et Ruzo)
 

Nostradamus, Prophéties, Pierre Ménier, 1589 Prophéties, Pierre Ménier, 1589, f.H7r

Composition de l'édition Ménier de 1589 :
   - feuillet A1r : frontispice (vignette)
   - feuillet A1v : blanc
   - feuillets A2r-A7r : préface à César datée du 1er mars 1557 (au lieu de 1555)
   - feuillets A7v-E8v : quatrains I 1 à IV 53
   - feuillets F1r-H5v : quatrains IV 54 à VI 71 (Propheties de "M. Mostradamus, adjoustees outre les precedentes impressions"). En H5v, vignette aux trois soleils.
   - feuillets H6r-H7r : quatrains d'une prétendue "Centurie septiesme", du 72e (non numéroté) au 83e (Propheties "adjoustees nouvellement"). En H7r, fleuron à tête de méduse.
   - feuillets H7v-H8r : six quatrains d'une prétendue "Centurie huictiesme". En H8r, même vignette qu'au frontispice.
   - feuillet H8v : blanc

La mise en page de cette édition est identique à celle de l'édition Roffet. Le texte reprend celui de l'édition de 1588 avec quelques variantes. Par exemple, l'erreur de lecture au vers I 83d ("cumeux" en 1588 au lieu de "curieux" dans les premières éditions) est extrapolée dans l'édition Ménier, qui donne "écumeux". La nature parodique de cette édition est trahie par l'orthographe "Mostradamus" au titre de la quatrième centurie (cf. CN 23).
 

Prophéties, Ménier, 1589, préface, f.A4v Prophéties, Ménier, 1589, préface, f.A7r Prophéties, Ménier, 1589, f.F1r Prophéties, Ménier, 1589, f.H6r
Ménier, 1589, T, f.A2r Ménier, 1589, E, f.A7v

 

6. Une seconde édition Pierre Ménier de 1589, hypothétique

065D Les Propheties de M. Michel Nostradamus
Dont il y en a trois cens qui n'ont encores esté imprimees, lesquelles sont en ceste presente edition.
Reveues & additionnees par l'Auteur, pour l'An mil cinq cens soyxante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie

Paris, Pierre Ménier, 1589, in-16, 64 ff.

J'admets l'existence d'une autre édition Pierre Ménier parue en 1589, perdue mais à ne pas confondre avec les deux éditions qui suivent, une édition à 592 quatrains et non plus 589, en fonction de l'analyse de ces deux éditions (cf. infra).
 

7. Les éditions du fils Ménier (XVIIe siècle)

Les bibliographes nostradamisants se sont contentés de suivre une extrapolation erronée et hasardeuse de Klinckowstroem, datant l'ensemble des éditions Ménier de la fin des années 80. Or l'une des deux autres éditions connues ne porte pas de date au titre, et la page de titre est arrachée dans le seul exemplaire retrouvé de l'autre.

Le libraire et imprimeur Pierre Ménier reprend l'atelier d'imprimerie de son père Maurice Ménier (Menyer, ou Mesnier), lequel a exercé entre 1545 et 1573 environ. Sa devise, "Coercenda voluptas" figure encore dans un ouvrage imprimé par son fils en 1598, l'Histoire plaisante de la jalousie de Jennain sur la grossesse soudaine de Prigne sa femme, contenant un brave discours de l'accouchement d'icelle (cf. La Caille, p.120).
 

Histoire plaisante, Paris, Pierre Ménier, 1598 Jean Petit, Prédictions, Paris, Pierre Ménier II, c.1616

Pierre Ménier, qui a exercé à Paris à partir de 1581 jusqu'en 1605 environ, participe activement à la propagande ligueuse à la fin des années 80 et au début des années 90, parfois associé au lyonnais Jean Patrasson (cf. p.ex. Baudrier 1, 1895, p.274). Il fait paraître en 1588 un texte ligueur signalé par Denis Pallier et déjà par La Caille en 1689, le Recueil de toutes les Impressions les plus veritables, mises en lumiere depuis le departement du Roy, le XII de may 1588 jusques à présent, discourues toutes au long. J'ai vérifié les mentions en page de titre de plusieurs impressions Pierre Ménier des années 1587-1589 :

Les trois premières portent la mention "pres la porte Sainct Victor", les deux suivantes : "pres la porte S. Victor". En effet Ménier appose à la plupart des ouvrages qu'il publie, la signature "[de l'imprimerie de] Pierre Ménier", "demeurant rue d'Arras pres la porte Sainct [ou S.] Victor" comme dans son impression des Prophéties de 1589. Ce n'est qu'à partir de 1598 environ qu'il se dit "portier de la porte Sainct Victor". Deux fils, issus de son mariage avec Marguerite Du Tillet, prennent sa succession : Pierre II Ménier, libraire-imprimeur de 1606 à 1642 environ, et Isaac Ménier qui a exercé entre 1612 et 1621 (cf. La Caille 1689, Lottin 1789, Renouard 1898, 1901 et 1965, et la compilation de Mellot & Queval 1997). Les recherches sur l'imprimerie parisienne traînent, et on espère toujours, depuis les travaux de Renouard, que quelque érudit, universitaire ou spécialiste du livre ancien ait l'envergure et le courage de réaliser des recherches comparables à celles de Baudrier dans le domaine lyonnais.

C'est son fils Pierre II Ménier qui a probablement imprimé les deux autres éditions Ménier que nous connaissons, comme il imprime encore, en 1616, un traité du pronostiqueur Jehan Petit, les Predictions pour cinq années (1617-1621), lequel contient cinq quatrains à l'imitation de ceux de Nostradamus (cf. CN 130). En effet j'ai retrouvé dans un catalogue de vente de 1740 le signalement probable de l'ouvrage dont la page de titre a été arrachée, qui suit :
 

065E Les Propheties de M. Michel Nostradamus
Dont trois cens sont imprimées pour la premiere fois en cette Edition.
Reveuës & additionnées par l'Autheur, pour l'An mil cinq cens soixante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie

Paris, Pierre Ménier, 1610, in-8, 64 ff.
[titre hypothétique reconstitué d'après le catalogue Bellanger et l'édition suivante]

- CAT Bellanger, Paris, 1740, n.1711
- Ruzo, n.42, p.356 (1588 ?)
- Benazra, n.23, p.124 (1589)

° BM Angers: Rés Belles-Lettres 2151 (page de titre arrachée)

Il est possible que la mention "dont trois cens sont imprimées pour la premiere fois en cette Edition" ne soit qu'une extrapolation du catalogue Bellanger. Cette édition contient les mêmes pièces que l'édition Ménier de 1589, mais contient d'assez nombreuses variantes orthotypographiques (cf. infra), et le bois gravé sous le quatrain VI 71 diffère de celui de l'édition de 1589.
 

Prophéties, Pierre Ménier, 1589, vignette, f.H5v Prophéties, Pierre Ménier II, c.1610, vignette, f.H5v Prophéties, Pierre Ménier II, c.1610, vignette, f.H8r

 

065F Les Propheties de M. Michel Nostradamus
Dont il y en a trois cens, qui n'ont encores esté imprimées, lesquelles sont en ceste presente edition.
Reveues & additionnées par l'Autheur, pour l'An mil cinq cens soixante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie

[Paris], Pierre Ménier, portier de la porte Sainct Victor, s.d. [1612 ?], in-8, 64 ff.
[à noter l'accentuation aux adjectifs "imprimées" et "additionnées" qui n'apparaît pas dans les éditions du XVIe siècle]

- CAT Bibliothèque du Roy (Belles lettres), 1750, n.1-4622
- Notes and Queries, 1.7, 1853, p.174
- Klinckowstroem, 1913, n.10 (c.1588)
- Hohlenberg, 1918, n.11
- Parker, 1920, p.129
- Leoni, 1961, p.80
- Ruzo, n.39, p.356 (1588 ?)
- Chomarat, n.143 (ca. 1588)
- Benazra, n.20, p.121 (1588)
- Brind'Amour, 1996, p.546 (1588)

° Mazarine, Paris: 8° Rés 30314 (72 x 111 mm ; "post. 1598" d'après le Répertoire de Renouard, 1965, p.303)
° British Museum, London: 718.a.14 (page de titre arrachée et feuillet suivant manquant)
 

Prophéties, Pierre Ménier II, c.1612, titre Prophéties, Pierre Ménier II, c.1612, f.H5v Prophéties, Pierre Ménier II, c.1612, f.H8r

Cette édition s'apparente à la précédente car elles ne présentent pas de décalage au premier mot du premier vers de chaque quatrain, contrairement à l'édition Ménier de 1589. Relevons encore l'absence des vers 3 et 4 au quatrain numéroté "VIII 5", la numérotation (en chiffres arabes) du quatrain VII 72, un bois gravé au verso du dernier feuillet, etc. Mais la principale différence est l'addition de trois quatrains supplémentaires à la fin de la centurie VI. Ces trois quatrains additionnels (VI 72-74), à l'imitation du dispositif mis en place dans les éditions Du Rosne de 1557 (cf. CN 177, CURA, 2003, et Atlantis, n° 414, 2003), pose un nouveau problème. En effet, il est improbable que le fils Ménier (ou ses commanditaires) ait mis en place ce nouvel artifice vers 1610. Il faut donc prendre en compte l'existence quasi certaine d'une autre édition comprenant 592 quatrains, imprimée par son père vers 1589, et peut-être même celle d'une seconde édition Regnault dès 1561.

Les vers 2 et 3 du quatrain VI 70 est un exemple typique montrant la situation intermédiaire de l'édition de 1610, entre l'édition Pierre I Ménier de 1589 et l'édition Pierre II Ménier de 1612.

VI 70b : crainct (1589) → craint (1610 & 1612)
VI 70c : loz (1589-1610) → loy (1612)

La correction "loy" au troisième vers est une extrapolation, en apparence légitime, propre à cette édition : les quatre éditions Benoist Rigaud datée de 1568 (X, A, B et C), les éditions Roffet 1588, Roger 1589, Ménier 1589, Petit Val 1589, Saint-Jaure 1590 et Rousseau 1590 reprennent toutes la version "loz" des deux éditions Du Rosne de 1557. Des éditions plus tardives (héritiers Rigaud 1597, Pierre Rigaud 1600, l'édition troyenne datée de 1605, etc) mentionnent "los", et l'édition Poyet 1600 transcrit "lors". Ce qui fait dire à Brind'Amour que cette édition Ménier contient "nombre de conjectures intéressantes, sinon savantes, fruits d'une réflexion sur le texte." Voire ! ... en tout cas une édition à l'orthotypographie modernisée, probablement postérieure à toutes les éditions ci-dessus mentionnées.

Un rapporteur de Notes and Queries en 1853, juge que la trop grande précision du quatrain II 51 (qui se rapporterait à l'incendie de Londres en 1666), pourrait faire de cette édition une contrefaçon : "If it is a forgery (and such I take it to be), it is decidedly the best I ever met with." (p.174). Les 96 éditions recensées à ce jour (cf. CN 120) seraient controuvées ! (cf. aussi CN 142, n°11).
 

8. Des éditions parodiques et facétieuses

Au début de l'année 1561 la situation politique est instable : le roi François II vient de mourir moins de deux ans après son père, et le jeune Charles IX n'a que dix ans. Des factions rivales lorgnent sur le pouvoir, et la régence de Catherine de Médicis suscite des interrogations. La première guerre civile approche.

Le 12 mai 1588, c'est la journée des Barricades. Henry III est contraint de quitter Paris en toute hâte et de se réfugier à Chartres. Le 23 décembre 1588, il fait assassiner son adversaire Henry de Guise, mais le 1er août 1589, il est à son tour poignardé par un moine à la solde des ligueurs parisiens.

Les imprimeurs des éditions tronquées de 1561 et de 1588-1589, et leurs bailleurs, ont su profiter de conditions favorables et comparables : des rivalités irréconciliables et une instabilité politique chronique, proche du chaos à la fin des années 80. Le pouvoir administratif n'a plus les moyens, en ces moments troublés, de surveiller le détail des parutions et de réprimer les débordements des ateliers d'impressions. La situation s'aggrave après l'assassinat de Henry III puisque la Ligue et la Sorbonne tiennent l'édition parisienne. Les privilèges royaux et permissions d'imprimer sont abolis pour quelques années. La voie est ouverte aux éditions tronquées de 88-89.

De nombreux indices textuels montrent le caractère passablement parodique des éditions parisiennes. En réalité, ce courant de trafiquants nostradamisants naît à la fin des années 50, rue Saint-Jacques à Paris, où se sont succédés divers éditeurs apparentés, tous logés "à l'enseigne de l'Eléphant" : la veuve Barbe Regnault (1555-1563), son gendre Thibault Bessault (1563-1565), décédé en 1565, sa fille Madeleine Berthelin (1565-1567), le second époux de sa fille remariée, Anthoine Hoüic (1568-1585), et Jean Bessault (1585-1588), le fils de Thibault, contrefacteurs à des degrés divers de textes tronqués de Nostradamus. Certain spécialiste du canular et de la mystification a récemment pris comme base de ses élucubrations l'édition tronquée et facétieuse de 1588 pour remettre en cause l'ensemble des éditions authentiques des Prophéties imprimées trente ans auparavant.

Notons encore la très faible diffusion des éditions parisiennes, peu présentes dans les catalogues de vente et peu recherchées par les collectionneurs qui ne furent pas dupes de leur caractère controuvé. Il semble même que leur diffusion se soit limitée à la région parisienne, car, contrairement à la plupart des autres éditions, cinq des sept exemplaires retrouvés sont actuellement à Paris ou au British Museum de Londres, lequel a récupéré un nombre important de collections d'origine parisienne.
 

9. Les principales variantes de la préface à César dans les éditions Roffet 1588 et Ménier 1589

J'ajoute en bleu quelques variantes de l'édition mise au nom de la veuve Buffet et datée de 1561. Et remercie Michel Scognamillo, auteur du catalogue de la librairie Thomas-Scheler (sept. 2010) pour sa précieuse collaboration. Pour l'étude de cette édition "authentique" (i.e. parue dans les années 60 contrairement aux indications du catalogue), présentée au public bibliophile parisien en septembre 2010, cf. CN 129.

[4] l'humain definement (1555)
l'umain "defiuement" (ou "desiuement") (1561)
→ l'humain cessiuement (1588)
→ l'humain decessiuement (1589)

La faute typographique (un /n/ inversé) de l'édition de 1561 a conduit les imprimeurs des éditions de 1588 et 1589 à inventer.

[16] perpetuelles vaticinations, pour d'yci a l'an 3797 (1555)
→ perpetuelles vaticinations, pour d'icy a l'annee 3767 (1561, 1588 & 1589)

Corruption du texte originel. Cette date de 3767, destinée à brouiller les pistes, résulte d'un amalgame entre l'an 3797 indiquant la fin des vaticinations prophétiques, et la date de la création du monde, à savoir 3967, donnée par Nostradamus dans ses Almanachs (cf. par exemple celui pour l'an 1557 ou celui pour l'an 1562).

[32] si le reprendra il : mais assemblés (1555)
→ si ne reprendra il Mars, assemblez (1561, 1588 & 1589)

Erreur de lecture. Ici, il semblerait que les éditeurs ne parviennent pas à comprendre le texte.

[33] anaragonique revolution (1555)
anaragomique revolution (1561, 1588 & 1589)

Sans commentaire ! Aujourd'hui, on lirait probablement "anaragnomique" chez des éditeurs de la même farine !

[36] par songes Machometiques (1555)
par songes Mahommetiques (1561)
→ par songes Mahommestiques (1588 & 1589)

Les éditeurs ignorent le sens du terme employé par Nostradamus. Déjà les éditions A, B et C de Benoist Rigaud lisent "Mahometiques", qui deviendra "Mathematiques" dans une édition lyonnaise du début du XVIIe siècle !

[41] ce j. de Mars 1555 (1555)
→ ce premier jour de Mars mil cinq cens cinquante sept (1561, 1588 & 1589)

On comprendra le trucage en rappelant que ces éditions prétendent reproduire une édition de 1557 : "Jouxte la coppie imprimee, l'an 1557".
 

10. Quelques variantes dans la centurie première et dans les quatrains trafiqués

4c: Lors se perdra la piscature barque (1555)
4c: Lors se perdra la biscature barque (1561, 1588 & 1589)

8d: La grand Hadrie reourira tes veines (1555)
[La grand Hardrie recourira tes vaines] (1561)
8d: La grand Hardrie recouvrira tes vaines (1588 & 1589)

9b: Facher Hadrie & les hoirs Romulides (1555)
9b: Fascher Hardrie & les hoirs Romulides (1561, 1588 & 1589)

19d: Chief, fuyct cache aux mares dans les saignes (1555)
[Chef fuict caché aux mares dans les franges] (1561)
19d: Chef fuit caché aux mares dans les fanges (1588 & 1589)

38a: Le Sol & l'aigle au victeur paroistront (1555)
38a: Le fol & l'aigle victeur paroistront (1561, 1588 & 1589)

45b: Beste en theatre, dressé le jeu scenique (1555)
45b: Bestes en theatre, dresse le jeu scenicque (1561, 1588) / se nicque (1589)

61a-b: La republique miserable infelice / Sera vastée du nouveau magistrat (1555)
[La republicque miserable infelice / Sera vestue du nouveau magistrat] (1561)
61a-b: La republique miserable infelice / Sera vestuë du nouveau magistrat (1588) / vestue (1589)

83d: Grecs, qui seront à frapper curieux (1555)
83d: Grecs qui seront à frapper cumeux (1561, 1588) / ecumeux (1589)
 

L'intention satirique, pourtant évidente, est malheureusement passée inaperçue chez tous les exégètes ! : "dans les fanges" au vers 19d qui ne rime plus, probablement "le fol" au vers 38a, "vestue du nouveau magistrat" en 61b, et surtout "le jeu se nicque" en 45b ! Nul doute que la veuve Regnault et ses commanditaires se soient amusés avec le texte, dès 1561 à un moment où l'étoile de Nostradamus commençait à perdre de son éclat, et que les imprimeurs de 1588-89 aient renchéri. On est là dans le champ des couillardises du seigneur du Pavillon, lequel venait enfin, en 1560 et après cinq ans d'attente, d'obtenir une autorisation pour la sortie de ses Contredicts aux faulses & abbusifves propheties de Nostradamus (cf. CN 49 & 50). Ces observations se confirment dans les quatrains trafiqués des éditions de 1588-89, lesquels ne suivent probablement pas tous la version de 1561. La découverte en 2010 de l'édition datée de 1561 en donne une confirmation (cf. CN 129) :

Le second vers du quatrain I.83, qui remplace le quatrain III.41, est entièrement controuvé : "Pour nous remettre és plaisirs curieux" !
[Saturne en Mars son regard furieux] (1561 = édition de 1555)

La rime "avant/devant" au quatrain II.27, qui se substitue au quatrain III.49, est remplacée par les termes "arriere/derriere" !
[avant/devant] (1561 = édition de 1555)

Le quatrain V.16 est remplacé par le quatrain III.30, et le vers "De nuict au lict six luy feront la guerre" devient "Celuy qu'en luitte nud se fera enquerre" !
[Celuy qu'en luitte ne se fera enquerre] (1561)

La suppression du quatrain III.41 est intéressante. En effet il n'y a aucune raison pour que ce quatrain, assez vite interprété comme pouvant se rapporter au général en chef des armées protestantes, le prince Louis de Condé, et qui est présenté par Nostradamus sous des traits peu plaisants, ait été supprimé des éditions ligueuses des années 88-89. Il faut donc qu'il l'ait été par l'impression Regnault de 1561, dont les éditeurs ont pu trouver embarrassante la conclusion au dernier vers : "Le traistre au roy pour fidele receu" -- à condition toutefois de ne pas attacher une importance exagérée à ces substitutions dont beaucoup ne sont pas signifiantes, comme par exemple en III.51a : "Puis conjure" pour "PARIS conjure", évitant de nommer la capitale dans le contexte négatif du vers.

Notons enfin, au titre de ces éditions, la découpe probablement intentionnelle du nom de l'auteur en deux morceaux : NOSTRA - DAMUS, autrement dit "nous donnons", nous les éditeurs parisiens, "ce qui nous appartient" ! Les farceurs responsables de ces éditions auront saisi certaines intentions du prophète provençal et les ont travesties afin de désorienter le profane.
 
 
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Patrice Guinard: L'édition Regnault 1561, modèle
des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589

http://cura.free.fr/dico2pro/707B-88.html
27-07-2007 ; last updated 13-04-2018
© 2007-2018 Patrice Guinard